Beck – Morning phase

A écouter d'urgence : "Turn away", "Heart is a drum", "Blue moon" et "Waking light". Les 2 premiers titres figurant parmi les plus belles chansons de cette nouvelle décennie.

Avec « Morning phase », Beck Hansen réussit là où il avait partiellement échoué avec « Sea change », son autre recueil de chansons folk acoustiques. Il y a une réelle gémellité entre ces deux disques. « Sea change » fut enfanté sous perfusion Gainsbourg période « Melody Nelson » (on ne soupçonne pas à quel point le grand Serge a eu de l’impact sur les artistes anglo-saxons…), un disque cafardeux, très déprimant. Un disque nocturne alors que « Morning phase » est son pendant diurne, solaire, réconfortant. Avec la simplicité en plus qui faisait grandement défaut sur le parfois indigeste « Sea change ».

Ce 12ème album (!) de cet artiste si prolifique, capable de jongler avec tous les styles depuis ses débuts en 1994 (rappelez-vous la bombe folk trip hop « Loser »), signe son grand come-back. L’album remporte 3 Grammy Awards et non des moindres dans les catégories « meilleur disque rock » et « album de l’année ». Il n’avait rien publié depuis 6 ans (« Modern guilt ») et la dernière décennie fut mitigée tant sur plan artistique que commercial. On retrouve donc un Beck assagi, vieilli (44 ans déjà…) et meurtri. Le temps et ses blessures ont fait son oeuvre… Son folk rock est un retour aux sources, au son West Coast traditionnel et lumineux hérité tout droit de Crosby, Stills, Nash & Young, Gram Parsons, Nick Drake et de The Byrds. Il suffit d’écouter l’émouvant et habité “Turn away” pour admirer la filiation du genre.

Dans la lumière pâle de l’aurore superbement mise en valeur par la pochette du disque, les chansons flottent telle une plume gracile. A l’exception du radieux et sublime “Blue moon”, le tempo est lent, le regard se fait lointain, contemplatif. L’élégant “Morning” baigne nos oreilles dans une torpeur indicible. Frémissements. Murmures. Soupirs. La paupière est lourde. Songe d’une nuit d’été indien… Des faisceaux couleur ocre inondent l’esprit. Dans le halo de la lumière, Beck se fait chamane et chasse son affliction sur le très beau et plaintif “Say goodbye” tressé sur un pèle même de guitares et banjos. “Unforgiven” martèle sa morgue de son beat lourd et pesant. L’ âme est souffreteuse… Suit l’orchestral et orientalisant “Wave” où Beck contemple seul l’infini, seul au bord du précipice qui lui tend les mains…

Il ne sombrera pas dans cet abîme à l’écoute de “Don’t let it go”, autre épure acoustique du plus bel effet. Le légèrement enjoué “Blackbird chain” cicatrise les plaies et laisse esquisser un pâle sourire. Dans le rétroviseur de sa ballade “Country down”, Beck laisse filer les maux au loin. Ambiance western, un harmonica et des guitares slides apportent un peu de joie et de chaleur, une page douloureuse se tourne. “Waking light” vient en épilogue aposer sa quiétude. Le voyage initiatique s’achève dans une immensité. Rédemption. Soulagement. Paix avec soi-même. Le final prend aux tripes. Ode éternelle à la mélancolie ponctuée par un solo délicieusement teinté sixties. Fin. Le calice est consommé jusqu’à la dernière goutte.

Comme à son habitude, Beck Hansen joue de tout (excepté la batterie) bien que faisant appel à une vingtaine de musiciens de studio dont le fidèle Jason Falkner qui collabora notamment avec Air, McCartney et Travis. La production et les arrangements sont majestueux, aériens et oniriques. La composition s’en trouve sublimée. Un travail d’orfèvre. Le disque est un tout. Difficile de dissocier chaque strate de l’ensemble. Beck confirme ce que l’on savait déjà : c’est un grand Monsieur. Un génie touche à tout : funk, rock, hip hop, blues, country, folk, expérimental,…

Voici son grand ouvrage folk. Une telle inspiration après 12 albums impressionne…

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Le Rock me fascine depuis l'écoute du double bleu des Beatles dans la bagnole de mon père... Cette addiction s'est manifestée au sein de plusieurs groupes de rock et désormais à travers ce site érigé comme une sorte de cave à vin du Rock and Roll et ses dérivés. Pour nous-mêmes et à léguer à nos enfants. Péché mignon ? Les 60's et la Pop au sens noble du terme.