George Harrison – All Things Must Pass

Dans cet impressionnant florilège de chansons on retiendra notamment les six joyaux de la couronne suivants : "Art of Dying", "My Sweet Lord", "If Not for You", "Wah-Wah", "Isn't it a Pity" et "Ballad of Sir Franckie".

La carrière solo du Beatles le plus introverti de la bande n’aura pas été faramineuse sur la durée mais il aura néanmoins signé un disque monumental avec “All Things Must Pass”. Probablement le meilleur disque solo d’un ex-Beatles.

“All Things Must Pass” est un hydre à deux têtes. D’un côté une dimension introspective et quasi-liturgique. De l’autre une facette plus explosive emmenée par des chansons à la production orgiaque ! Le génial Phil Spector coproduit le disque et multiplie les effets d’écho et réverbération pour massifier le son. C’est sa fameuse science du “wall of sound”.

Libéré du “carcan beatlesien”, l’ami George accouche donc d’un triple album (une première historique dans l’histoire de la pop music) qui résonne comme un exutoire après tant d’années passées dans un “costume étriqué” au sein des Beatles. Face au tandem impérial Lennon/McCartney, il a souvent rongé son frein. Ce n’est que sur le tard que le public a pu se rendre compte que le bonhomme en avait sous le capot et pas qu’un peu… “Here comes the sun”, “Something”, “Taxman”, “While my guitar gently weeps” sont autant de joyaux ayant réussi à se frayer un chemin au sein de la monarchie parlementaire Lennon/McCartney.

An 1970. Les Beatles se séparent. Cataclysme. Fin d’une époque, d’un âge d’or. George Harrison est en embuscade. Il a dans sa besace un paquet de chansons qui ne demandent qu’à sortir de leur chrysalide. Il a par ailleurs longuement traîné aux côtés de Bob Dylan et The Band. Les mecs de The Band l’impressionnent par leur cohésion et le plaisir de jouer ensemble. Chose qui a déserté les Beatles depuis 1966/67…  Il est temps pour lui de tourner la page. La dissolution des Beatles le libère de son carcan. En novembre de la même année il publie cet “All Things Must Pass” boulimique. Harrison expire de tout son soûl une créativité jusqu’ici trop contenue… Le résultat est splendide. Faisant le yo-yo entre barnum rock explosif et ballades spirituelles intimistes. Marque de fabrique de l’album : la slide guitare prédominante de George Harrison. Une signature mêlant influences blues et musique indienne.

Avec cet album (enregistré à Abbey Road), George Harrison prend sa revanche sur ses ex-camarades de jeu Lennon et McCartney qui avaient rejeté (à tort) certaines de ses chansons des albums des Beatles. C’était dire le niveau du groupe pour se permettre cela… Car lesdites chansons “rejetons” sont des merveilles à l’image de Let it Down ou All Thing Must Pass.

Le diamant se pose sur la platine :

L’entame est douce et vaporeuse avec ce I’d Have You Anytime couché sur un écrin moelleux tout en délicatesse et co-écrit avec Bob Dylan lors du festival de Woodstock.

Suit le tube planétaire My Sweet Lord au refrain entêtant. Une procession ésotérique qui poursuit le sillon pop hindouisante creusé depuis 1965 par l’ex-Beatles tout en y incorporant des ingrédients folk et gospel. Une chanson colliers à fleurs qui sonne comme un chant du cygne des années Woodstock.

Le “wall of sound” fait irruption dès le délirant Wah-Wah. Les guitares se transforment en hélices. Cordes et cuivres donnent dans le Music Hall. Un boxon titanesque que rien ne freine. Totalement décomplexé, George Harrison envoie la cavalerie et l’artillerie lourde.

Après la fête la gueule de bois. Isn’t it a Pity débute sur une touchante morgue automnale avant de se laisser envelopper par un doux soleil hivernal. Agitation de guitares slides mouchetant ici et là comme des fleurets. Final solennel et mystique avec ses chœurs miroirs aux refrains de “Hey Jude”.

La pop fanfare de What is Life est ivre de soleil et de bons sentiments. Sympathique mais pas inoubliable.

La ravissante ballade folk If Not for You a été composée par Bob Dylan et offerte à Harrison. Une ritournelle charnelle et bucolique. Légèreté et simplicité en trompe l’œil. Coup de maître.

Le swing New Orleans de Behind That Locked Door plaira également aux amateurs de Bob Dylan et Neil Young. Osmose parfaite avec le balancier d’un rockin’ chair.

Let it Down attaque en trombe. Blitzkrieg. Les couplets installent un faux rythme jazz. Pour mieux boxer sur des refrains mastodontes. Comme si Burt Baccarach avait viré mauvais garçon.

Un souffle “West Coast Folk” caresse Run of the Mill. Les textes sont pourtant acerbes. Harrison éreinte de sa plume les relations désastreuses au sein des Beatles ainsi que les tensions au sein du label Apple.

La version remaster de l’album en 2001 dévoile une nouvelle ballade au grain Dylanien. I Live for You est un calice qui se consomme dans les bras de sa chère et tendre. Épaulée par un jeu de slide guitare sinueux et espiègle, la mélodie imprègne une nostalgie viscérale.

Beware of Darkness aurait pu figurer sur l’album “Let it Be” avec son atmosphère à la “The Long and Widing Road”. Un soupçon de grandiloquence. Un piano qui tutoie l’immensité. Un ascenseur pour l’éternité.

Country Folk chauffée au feu de bois sur Apple Scruffs. L’harmonica souffle sur les braises. Les chœurs éclosent comme des ribambelles de glaïeuls. Amour. Camaraderie. Fraternité. Foutaises… La chanson est une diatribe envers la dévotion excessive des fans des Beatles. Harrison en avait horreur…

Ballad of Sir Frankie (Let it Roll) verse dans la dramaturgie. Avec force solennité. Le piano esquisse un leitmotiv alambiqué qui évoque la BO de la série “Le Saint”. C’est à la fois superbe et cafardant. A écouter seul dans un manoir écossais,  à la bougie, un verre de Brandy à la main. Ou en contemplant, au clair de lune, la Tamise figée dans un linceul mortifère.

Retour aux élucubrations festives sur Awaiting on You All. Fanfare rock. Escadrons de cuivres. Phil Spector en Lider Maximo de la réverbération. La chanson passe pourtant difficilement l’épreuve du temps…

All Things Must Pass convoque allégrement la pop jazz de Burt Baccarach. Une ballade piège qui entre léthargie des arrangements et chant larmoyant parvient à hisser son jeu sur un refrain qui frise le chef d’œuvre.

Le blues désarticulé de I Dig Love singe parfaitement bien John Lennon. Back to Beatles. Avec un batteur qui signe un jeu génial jouant au chat et à la souris. Il n’y a pas de hasard, c’est Ringo Starr qui officie aux baguettes. On reconnaît bien là sa signature. Une chanson originale qui aurait pu néanmoins résumer le propos avec 2 minutes de moins…

Art of Dying a été composée en 1966. Harrison l’exhume et la magnifie avec des arrangements dignes d’un “James Bond” passé à la moulinette disco/funk rock. Une chanson héroïque. Une introduction magistrale et funky à souhait. Des guitares artificières (cette wah-wah…un régal), une basse qui rebondit et groove à la perfection, un batteur qui donne tout ce qu’il a… Exultation totale !

Hear me Lord achève l’épopée. Un son rock américanisé avec un accompagnement gospel en guise de chantilly. Pas le meilleur des épilogues mais vu l’impressionnante quantité de chansons remarquables de l’album, on lui pardonnera d’avoir cédé à une certaine facilité un peu tarte à la crème en fin de disque.

Cet album est une célébration. Un nouvel élan porté par un impressionnant convoi d’invités de marque venant jammer et enregistrer en studio. Que du beau monde ! Eric Clapton, Bobby Keys (saxophoniste notoire ayant accompagné les Stones, Lennon ou encore Lynyrd Skynyrd), Billy Preston, Ginger Baker (ex-batteur de Cream et Blind Faith) Peter Frampton, Dave Mason (du groupe Traffic et non son homonyme, le batteur de Pink Floyd), Klaus Voorman (lequel avait dessiné la pochette de “Revolver” des Beatles) etc. Ringo Starr est là-aussi, fidèle parmi les fidèles. Et tout ce beau monde s’éclate autour de George Harrison qui a su rassembler autour de lui un cercle de pointures en or massif capables de jouer et jongler avec une formidable palettes de couleurs et nuances de musique indienne, rock, soul, blues, folk, jazz, gospel etc.

Premier effort solo. Un chef d’œuvre. George Harrison nous manque cruellement…