Michael Kiwanuka – Love & Hate

Une couronne de joyaux. S'il fallait bêtement choisir cela donnerait : "Cold Little Heart", "Black Man in a White World", "Place I Belong", "Love & Hate" et "One More Night". Mais il est des albums qui ne s'écoutent que d'un seul tenant au risque de passer à côté...

Cold Little Heart s’étire sur presque dix minutes… Une longue entrée en matière instrumentale audacieuse et saisissante. Une soul religieuse et atmosphérique dont l’ambiance et les parties de guitare slide ne sont pas sans évoquer immédiatement la fabuleuse “Shine On Yoy Crazy Diamond” de Pink Floyd.

Danger Mouse (CeeLo Green, le premier disque d’Adele, Gorillaz, Broken Bells, Black Keys…) vient épauler le producteur de la première heure en la personne de Paul Butler (musicien du groupe The Bees). Michael Kiwanuka nous ouvre ses bras. Des plumes qui flottent dans un halo de lumière blanchie. Une pluie de poussière d’argent et de larmes. Gorge nouée, nous pénétrons dans le deuxième album de ce jeune et déjà grand Monsieur de la musique. Procession élégiaque sous des airs western abîmés d’Ennio Morricone. Et cette voix soul élégante et sans maniérisme qui s’avance dans l’obscurité. On touche d’emblée au chef d’œuvre.

En 2012, cet anglais de descendance Ougandaise, avait claqué un premier disque phénoménal : “Home Again”. Un disque pétri de folk, blues et soul vintage ravivant la flamme de certains maestros: Van Morrison, Bill Withers, Otis Redding, Cat Stevens pour ne citer qu’eux.

L’artiste n’a rien perdu de sa superbe et de sa patte géniale à l’écoute de ce deuxième disque.

Place au Mississippi et ses cicatrices d’un passé trouble fait de rivières pourpres qui semblent toujours résonner dans cette actualité américaine où le mouvement “Black Live Matters” rappelle les pénibles années de ségrégation… Dans une Amérique à deux doigts de sacrer Donald Trump aux commandes de sa destinée, Black Man in a White World se pose en manifeste de paix et de tolérance tout en rappelant cruellement la place de l’homme noir toujours aussi fragile dans de nombreux états d’Amérique. Introduction façon chant d’esclave, clappement de mains, guitare jazzy, chœurs imbibés de sueur soul et world music… Du grand art mené sur un tempo haletant qui ne sera pas sans rappeler les ardeurs d’un Fela Kuti.

Le refrain supplicié de Falling étreint l’âme. Une ballade parée d’atours simples. Des arrangements au service d’une voix envoûtante. Un piano tapis dans l’ombre, une caisse claire blafarde, des orchestrations d’orgue et de cordes délicates. Des chœurs western. Des guitares qui résonnent et perlent dans cet écrin doucereux… Sur Place I Belong, Michael Kiwanuka flirte avec un Marvin Gaye qui se serait réfugié dans un gospel langoureux. Orchestration à la Motown. Fragments de sons de guitare fuzz et wah-wah, flûte bucolique, rythmique tribale chaloupée… Et toujours cet ensemble de chœurs remarquables.

Un album splendide. Une ivresse nocturne dans laquelle s’enlacent des mélodies délicates. Jamais grossières. A l’image de la chanson Love & Hate dont la progression frise la perfection. Chagrin, remord, coup de cafard, espoir et lumière sont autant de mots funambules qui jaillissent dans cette œuvre. Un disque riche où l’on ne s’ennuie pas. A l’image de ces giclées de fuzz énervées qui ponctuent Love & HateOne More Night et sa sautillante et dodelinante rythmique, traversée de saxophone, est un petit bijou qui nous ramène 40 ans en arrière… Une soul raffinée façon Amy Winehouse.

Dans un nénuphar se trouve la délicate ballade I’ll never love qu’une Valerie June aurait sûrement fait sienne. Rule the World s’ouvre sur une guitare rythmique au phaser lascif. Une hélice s’enclenche au son des violons et violoncelles. Propulsion sous le feu de chœurs toujours aussi extatiques et habités. Les peaux des fûts de batterie claquent un swing entre jazz et world music. Griffures de fuzz. Envoûtant crescendo. Soul vaudou. Grandiose encore une fois.

Un récital où l’anglais a élargi son spectre musical. Un titre expérimental: Father’s Child. Une longue digression Prog-jazz-soul qui rappelle à certains égards les univers feutrés et majestueux de Serge Gainsbourg sur son combo “Melody Nelson” / “L’homme à la tête de chou”. On se quitte avec The Final Frame. Toujours cette veine soul jazz seventies où Kiwanuka martyrise avec brio sa guitare à coups de riffs et de solis électrocutés. Un son crunch cradingue qui contraste avec un timbre et des arrangements soyeux.

Le premier album était un chef d’œuvre. Le deuxième l’est tout autant.

“Home Again”, le premier opus, était un disque de soul diurne et solaire. “Love & Hate” est son pendant nocturne et crépusculaire.

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Le Rock me fascine depuis l'écoute du double bleu des Beatles dans la bagnole de mon père... Cette addiction s'est manifestée au sein de plusieurs groupes de rock et désormais à travers ce site érigé comme une sorte de cave à vin du Rock and Roll et ses dérivés. Pour nous-mêmes et à léguer à nos enfants. Péché mignon ? Les 60's et la Pop au sens noble du terme.