Avec un nom de groupe emprunté au film “L’équipée sauvage” ( “The wild one” en anglais, sorti en 1953) où Marlon Brando et sa bande de motards sillonnent l’Amérique, Black Rebel Motorcycle Club en impose déjà… Pas question de folk ou de blues ici contrairement à ce que laisserait transparaître un tel emprunt au cinéma. Ni de rock and roll classique à la Elvis ou Gene Vincent. Le trio (Peter Hayes, Nick Jago et Robert Levon Been) joue un rock musclé, noisy, agressif.
Leur son emprunte aussi bien au garage rock psychédélique du Velvet Underground et Brian Jonestone Massacre (dont Peter Hayes fut l’un des musiciens live en 1998) qu’à la scène dite “Shoegaze” de l’Angleterre fin 80’s/début 90’s avec des groupes piliers comme Ride, Jesus and The Mary Chain et My Bloody Valentine.
Un amas de guitares dissonantes, broyées dans un déluge de fuzz, d’échos et de réverbe caractérise le son de cet album teinté d’une alarmante noirceur. “Awake” plonge l’auditeur dans un mur du son dantesque, abyssal, un spectre claustrophobe et nauséeux… Mélancolique mélodie d’un trio qui malmène sa musique dans un circus psychédélique malfaisant et stressant… Lorsque la léthargie s’efface, elle laisse place à un groove garage rock hypnotique sur le phénoménal “Whatever happened to my rock and roll”, une bombe abrasive, une plaie ouverte jouée à fond les ballons. Un album atteint d’urgence et démence à l’image de ce titre qui triture ses guitares dans un chaudron de larsens et riffs saignants. Sonic Youth dans le viseur.
“Red eyes and tears” poursuit ce tempo hypnotique, méchant et entêtant. Le chant est désinvolte à souhait. Une chape de plomb. Les Stooges et l’agressivité malsaine de leur rock est l’un des filons exploités à merveille par les Black Rebel. Une tournerie psyché rock incandescente comme cet excellent “Love Burns” qui ouvre l’album sur une autoroute criblée d’éclats de shrapnels… Fuzz poussée dans ses derniers retranchements, distorsion extrême des basses et guitares, le trio développe une litanie apocalyptique qui fait frémir…
“As sure as the sun” et son intro/riff digne d’un film de science fiction est une merveille garage psyché rock où Peter Hayes abreuve ses textes noirs d’un phrasé languissant et onirique. Pas d’espoir dans le bas monde des Black Rebel… Les guitares se font toujours vagabondes, désolées, suicidaires… La bête est prise au piège dans cette toile arachnéenne sonique tissée par le groupe.
B.R.M.C ne relâche jamais la pression, les mains étranglent la nuque, l’air est vicié, les instruments sont vicieux. “White Palm” est là pour enfoncer le clou dans cette plaie ouverte. Un titre rock primitif, mené par une batterie tribale et un flot de guitares martyrisées sous moult effets de wah-wah cradingues. La basse cahote comme un mort vivant. Ambiance “shoegaze” hantée par les ombres de Jesus and The Mary Chain avant de mourir sur un fade out acoustique…
“Take my time/Rifles” est quant à elle piquée à de vaines circonvolutions psyché à la Ride, The Verve et autres My Bloddy Valentine. Pas mémorable, le titre s’effilochant sur la durée. Même impression à l’écoute de “Too real”… C’est d’ailleurs l’un des principaux reproches que l’on peut adresser à cet album qui compte deux défauts : la durée parfois excessive de certaines chansons et le manque de 2 ou 3 titres aérés permettant de souffler après de longues descentes en apnée au sein de cette œuvre teintée de noirceur et parfaitement servie en la matière par les arrangements du groupe. “Salvation” qui clôt le disque apportera néanmoins cette relative note de fraîcheur sur une tonalité rock quasi-christique façon garage gospel pour peu que ça puisse signifier quelque chose…
Le groupe est d’ailleurs bien plus à son avantage lorsqu’il accélère un peu la cadence comme sur le génial garage blues rock “Spread your love” qui s’inspire du thème rythmique de “Baby did a bad bad thing” de Chris Isaak avec l’harmonica et la touche énervée des Stooges en plus.
Avec ce premier album qui marque les premiers soubresauts rock de la décennie 2000, les Black Rebel Motorcycle Club frappent un grand coup en prenant part au convoi revival garage rock des Strokes, Libertines, Hives & co. De tous ces groupes, ils incarnent celui qui est le plus corrosif et angoissant. Flanqués de leurs blousons en cuir noir, le gang californien n’est pas là pour plaisanter. Leur univers est morne. Ils sont les nouveaux prêcheurs de l’apocalypse. C’était en 2001. Et depuis il y eu le 11 septembre, la 2ème guerre en Irak, la montée en puissance du fondamentalisme, Charlie et toutes les horreurs que l’on connaît hélas…
Comme si les trois californiens avaient anticipé et façonné le son d’une décennie qui allait virer au cauchemar…
Des longueurs mais une noirceur parfaitement mise en relief.