Françoise Hardy – Tous les garçons et les filles

On affectionne plus particulièrement "Le temps de l'amour" et "C'est à l'amour auquel je pense".

Nous sommes en 1962, en pleine période des années Yé-Yé en France. Les “Trente glorieuses” battent leur plein, le pays est prospère, la jeunesse se découvre une passion pour la musique anglo-saxonne, les jukebox, les flippers, la mini-jupe, les scooters et les solex,… Les parisiens flirtent à “La Main Jaune”, s’encanaillent au “Drugstore”, s’agglutinent dans les cinémas, achètent leurs premiers disques vinyles 45 et 33 tours, écoutent religieusement “Salut les Copains”,…, bref c’est la dolce vita. C’était il y a 50 ans. La France découvrait ses premiers héros : Johnny, Jacques Dutronc, Claude François, Antoine, France Gall, Dick Rivers, Sheila, Ronnie Bird,… Tous ont pour point commun d’adapter les standards/tubes anglo-saxons de l’époque en français. Les maisons de disque poussent comme des champignons. Parmi elles il y aura le label Vogue (racheté en 1987 par Sony) qui signa notamment pour la postérité Johnny Hallyday et Jacques Dutronc et la nouvelle pousse toute fraîche : la ravissante Françoise Hardy, 19 ans.

Françoise Hardy a grandi en écoutant la musique rock, folk, country qui passait sur RTL à l’époque. Ses parents lui offrent sa première guitare folk sur laquelle elle ébauche ses premières compositions. L’étudiante de la Sorbonne essuie des revers lors de ses premières auditions chez Pathé Marconi et Vogue. Lors de la seconde audition chez Vogue, Jacques Wolfsohn, DA du label, la signe. Un premier 45 tours est publié avec le tube “Tous les garçons et les filles” qui la fait connaître au grand public. Suit un 33 tours qui reprend les 4 titres du 45 tours et que nous chroniquons ici. Son premier album. Un petit bijou de la chanson française aux enluminures pop rock.

Sur les 12 titres, Françoise Hardy est l’auteur et compositeur de 10 chansons. Ce qui est remarquable pour l’époque où les artistes sont avant tous des interprètes. Jacques Dutronc se chargera de composer la musique du “Temps de l’amour” sur des textes de Lucien Morisse (ancien directeur des programmes d’Europe 1 et découvreur de Polnareff, Dalida, Christophe) et André Salvet (qui collabora sur de nombreux textes de Dutronc, Joe Dassin, Yves Montand, Hallyday,…). “Oh Oh chéri” est composé par Bobby Tramwell sur des textes de Jil et Jan.

Le diamant de la platine se pose sur les micro-sillons du 33 tours… Quelques notes de guitare en intro et la voix pure de Françoise Hardy enveloppe “Tous les garçons et les filles” qui ouvre le disque. La rythmique pop soutient le chant avec un minimalisme jazzy sautillant. Françoise égrène sa candeur avec poésie. Les influences anglo-saxones  se font bien sentir sur “Ca a raté”. Un air twist et rockabilly emballe l’affaire. Il y a du Elvis sur certaines intonations. La contrebasse se fait aussi country sur “La fille avec toi”. Les guitares baignent dans les vibrato et tremoloes. Sur “le temps de l’amour”, les guitares entonnent quelque incantation hispanisante… Il y a presque du Jefferson Airplane avant l’heure. Il y a enfin de la surf music dans les piqués de guitare sur “J’suis d’accord”.

Chaque arrangement est subtil, destiné à servir la voix de la belle créature. Un chant délicat, suave, qui ne force jamais, qui ne surjoue pas. Un timbre guilleret et candide sur “Oh Oh Chéri”, le titre le plus représentatif du mouvement Yé-Yé de l’époque avec “J’suis d’accord” et “Il est tout pour moi”. Un timbre plus grave et habité sur le fragile et ravissant “Le temps de l’amour”, au ton quasi prophétique dans les textes, et le magnifique “C’est à l’amour auquel je pense”.

Certes les textes ingénus font sourire aujourd’hui dans une époque où la vulgarité a bien souvent pris le pas sur la musique et les sentiments dans ce qu’ils ont de plus simple et noble. Lorsque l’on écoute les confidences de “J’ai jeté mon coeur”, on se dit qu’il est loin le temps d’une poésie romanesque, naïve et enchanteuse. Oui, c’était la génération de Gaulle, une éducation de bonne famille qu’il ne fallait pas choquer. L’ORTF du haut de son mirador veillait scrupuleusement à ce que sa jeunesse ne s’écarte pas des bons préceptes moraux de la société. Six ans plus tard, les pavés de St Germain et les boulons des usines de Grenelle feront sauter le carcan…

Mais on ne saurait rester insensible à la grâce des mots qui caresse chaque syllabe prononcée par la belle Françoise. Une grâce parfois traversée de rares et subtiles intonations érotiques dans la respiration, la diction langoureuse de certains mots qui ne sont pas loin de verser dans un certain interdit. Serge Gainsbourg lui ne s’y méprendra pas lorsqu’il fera insidieusement chanter la petite France Gall sur “Les sucettes à l’anis” 4 ans plus tard…

Un disque élégant, sobre, témoin d’une France faussement candide. Un recueil de poésie sentimentale en Pop avec un P majeur. Un disque angulaire dans la chanson française dont je ne raffole pas personnellement. Mais lorsque la French Pop est bonne et parfaitement exécutée, on ne se fait pas prier mon garçon. Preuve en est les nombreux artistes britanniques qui citeront son influence dans leur répertoire : Blur, Divine Comedy, Belle and Sebastian,…