1991… Les US prennent “Nevermind” de Nirvana dans la poire… Le Royaume-Uni ? La troisième mouture de Primal Scream : “Screamadelica” . Un disque culte. Un disque qui traduit parfaitement bien une époque assez foldingue au Royaume-Uni. La vibe est l’acid house qui innonde les clubs. Le tchatchérisme a esseulé le royaume, chômage de masse, aucune perspective pour la classe ouvrière. Sa jeunesse afflue dans les boîtes de nuit, se défonce à coup d’acides et autres hallucinogènes, fait la fête jusqu’à l’aube, elle n’a plus que “ça” pour elle… Elle oublie la grisaille et le désœuvrement dans la lumière des stroboscopes. Elle danse, ondule de manière épileptique. Tout cela inspire “Screamadelica”, une fusion de genres que tout oppose pourtant : electro, acid house et indie rock. Un nouveau genre psychédélique que s’approprie Primal Scream, entourés de producteur (dont les DJ The Orb et Andrew Weatherall) ayant parfaitement capté l’air du temps, l’alchimie et l’énergie des dancefloors passée à la moulinette rock. Une synthèse lucide, novatrice et intelligente pour un groupe ayant jusque là officié dans un registre plutôt rétro.
“Screamadelica” est un concept album, celle d’un voyage hallucinogène. Et c’est peu de le dire… Un disque en deux temps : la première moitié de la galette fusionne house music et indie pop alors que la seconde moitié s’aventure en terrain pyschédélique. De sorte à traduire la montée sous acide, le vol en apesanteur et la redescente.
“Movin’ on up” attaque l’album sur un artefact très Rolling Stones : une sorte de “Can’t always get what you want” revisité à la sauce Primal Scream. Percussions, piano bastringue, du crunch dans le Fender, une bande de nanas égosillant des choeurs black soul music, tout est joyeux, coloré… Bobby Gillepsie et sa bande d’allumés chauffe le “before” de la soirée, juste avant de gober les petites pilules magiques… Ca groove, l’humeur est festive. Une excellente entrée en matière qui précède une reprise du 13th Floor Elevators : “Slip inside this house”. On y est. Acid house à fond. Basses dub dans le speaker, congas et sitar nous plongent dans un délirium prog rock 20 ans avant MGMT… Le “baggy sound” des Stone Roses est aussi passé par là (album éponyme paru en 1989).
L’influence acid house des clubs pénètre encore davantage “Don’t fight, Feel it”. Basse et percussions assènent un groove hypnotique et malfaisant. Ambiance 5h du matin, le cerveau a lâché, les neurones sont distillés dans le gin… On imagine tous ces kids défoncés aux acides, l’air hagard, se confondant dans la lumière des spots, tels des zombies aspirés par ce groove entêtant et malsain… La chanteuse invitée sur le titre, Denise Johnson, livre une prestation qui rappelle toute cette scène dance music du début des 90’s (rappelez vous l’époque “Dance Machine”) dans le genre Robin. Les Primal Scream ont délaissé les guitares, bien avant que Radiohead ne le fassent… Totalement inventifs et précurseurs, ils se réinventent complètement sur ce disque littéralement disjoncté. Et en fusionnant des genres que pourtant tout opposait…
Avec “Higher than the sun”, Bobbie Gillepsie, tel un chaman, ensorcelle de sa voix éthérée un titre très teinté electro à nouveau. Toujours cette empreinte des Stone Roses dans le chant incantatoire tel que savait le livrer Ian Brown. MGMT n’a rien inventé lorsqu’on écoute un tel titre… Il est bon de revenir aux sources pour s’en rappeler… Le trip continue avec “Inner flight”. Un orgue façon carrousel de manège livre une mélodie enfantine, un son carillonnant de guitare, des sons bidouillés, des cuivres fantomatiques, des synthés triturés,… Un interlude instrumental planant dans le genre “Blue jay way” des Beatles...
Puis “Come together”. Non pas la reprise des Fab Four… Mais 10 minutes de folie “douce”… Des nappes de clavier et d’orgue en guise d’intro, un speaker qui invite au voyage, des effets lasers tournoyant dans le ciel, des sirènes de police dans l’air, la chanson s’édifie sur un crescendo dance music à coup de grands renforts de basse dub. Delay et échos à fond. Et là jaillit un refrain gospel qui nous transporte dans une totale plénitude… Étonnant disque qui fait la part belle à l’ambiant music, et convoque peu les guitares et la voix de son chanteur Bobbie Gillepsie.
Cette jeunesse qui veut oublier ses journées de merde, Primal Scream lui rend justice dans “Loaded” qui porte bien son nom : “We wanna get loaded, we wanna be free to do what we wanna do, we wanna have a good time !”. Hymne à la défonce, à la cuite,… Les Rolling Stones imprègnent ce nouvel intermède instrumental de leur patte. Piano et percussions tracent un beat et des arrangements à la “Sympathy for the devil”. L’excellent guitariste Andrew Innes accouche de gimmicks crunchy, de parties de guitare slide, de riffs glissant sur une wah-wah. Martin Duffy lui répond de son beat de piano dansant. Des choeurs gospel portent la chanson vers d’autres sommets. On exulte. C’est juste génial. Impossible de ne pas avoir le smile…
Les Primal Scream mettent une parenthèse bienvenue dans cette folie avec la très belle ballade “Damaged” à nouveau très teintée Rolling Stones période “Let it bleed”. Subtil et étonnant contraste avec le son des précédentes chansons. Une ballade pur jus blues pop rock. Apaisement qui précède le trip ésotérique et vaporeux de “I’m coming down”, tempo tribal et arrangements minimalistes où flotte un air de saxophone. L’heure est au mantra. Primal Scream est en voyage initiatique, au milieu des moines tibétains, joignant leurs mains à cette procession musicale psychédélique. L’héritage de Captain Beefheart, Can et Neu! n’est pas loin… Des influences artistiques quelque peu dérangées pour un disque quelque peu cinglé…
Une première moitié de disque dansante. Une seconde moitié psychédélique. “Higher than the sun” (part 2) plane complètement dans le cosmos avant de s’engouffrer dans trou noir inquiétant… Et là sans qu’on sache pourquoi, un solo de clavecin ! Un theremin s’insinue dans cette ambiance de fin du monde, les membranes des enceintes sont électrocutées sous les oscillations dub. Massive Attack aurait pu facilement s’inviter sur ce titre… Le voyage initiatique s’achève sur “Shine like stars”. Une mélodie enfantine jouée au mélodica brasse les premières lueurs de l’aurore… Fin du trip. On n’en sort pas indemne. Là où David Bowie (autre influence du disque) nous avait éjecté dans la stratosphère avec “Space oddity”, Primal Scream a pris le relais en nous retournant la tête dans leur capsule remplie de substances chimiques… Un grand disque. Et que l’on redécouvre avec plaisir en constatant que finalement, c’était en 1991 et que depuis, peu de choses aussi novatrices que ce disque ont fait irruption depuis dans le rock (au sens très large du terme).
Pour aborder “Screamadelica”, on commencera par “Movin’ on up” puis “Come together” et “Loaded” afin de bien capter l’essence du disque.