Radiohead – A Moon Shaped Pool

Les 3 pépites incontournables (mais revenez-y plusieus fois) : Burn the Witch, Identikit, Decks Dark.

5 ans après un King of Limbs franchement barré et inégal, Radiohead signe un album plus accessible et direct. En apparences. Empreint de mélodies, de pureté sombre, de complexité joyeuse, de mélancolie. De beauté aussi. Le son est cristallin, la voix est limpide. Comme pour établir une nouvelle référence absolue. Les arrangements de Greenwood sont d’une richesse inouïe. Heurtés à souhait, jamais prévisibles. Pour qui prend le temps d’y retourner.

Une piscine en forme de lune. Mais encore ? Chasse aux sorcières. Les cordes flottent dans le vent glacial. L’orée du bois inquiète. La froideur du tourbillon de basses effraie. À quelle sauce Tom Yorke et sa bande vont-ils cette fois nous manger?
Les instants d’apaisement sont salvateurs. Les arrangements sont pensés, rien d’étonnant. Les cordes obsèdent, des sons venus d’ailleurs. Une impression toutefois de super budget. Comme les derniers James Bond manqués. Est-ce la participation du London Contemporary Orchestra qui nous met la puce à l’oreille ? Ouvrez-les.

“Daydreaming”. La fée clochette erre autour du berceau. Boîte à musique céleste. Fais dodo Colas mon petit frère. Une douceur ronde et chaleureuse s’empare de la pièce. Le marchand de sable passe, dans l’obscurité de la nuit scintille une veilleuse pâle. La pluie titille la vitre embuée. Quelques à-coups de cordes et des sursauts de bandes vocales. Une justesse sur le fil. Un rythme cardiaque désordonné. Le ronflement des nains de Blanche Neige. Melody Nelson. La délivrance du sommeil. Voyage aux pays des rêves.

“Decks Dark”. Ce titre est plus classique. La mélodie semble déjà connue. Le murmure de Yorke est introspectif. La section rythmique se met ensuite en route. Un travail magnifique de chœurs féminins aériens. Du clavier. Une basse sonne le glas. La guitare devient nerveuse, son crunch se salit d’un groove inquiétant. 3’30 marque la rupture dans les graves. Le delay apparaît en flaques, un loop à l’aigu s’éteint de désespoir. Une impression de composition personnelle dans une cave. Forcément bien équipée. Ne serait-ce qu’en idées.

“Desert Island Disk”. Des sonorités nouvelles au parfum bossa nova. Et l’Islande. La fraîcheur de l’immense. Promenade à cheval. Cavalcade pure au crépuscule. Le feu de camp crépite. L’instinct de survie fait des incantations.

“Ful Stop”. Bourdon d’une rave indie. Rêverie confuse d’une nuit d’ivresse. Montée en puissance anarchique rattrapée au vol avec brio par la batterie de Phil Selway. Le mot “entêtant” prend ici tout son sens. Ainsi qu’épilepsie.

“Glass Eyes”. Derrière le miroir magique. Alice au pays des Merveilles. Un certain lapin farceur. Il n’est pas l’heure.

“Identikit”. Un beat connu qui évoque In Rainbows. La froideur des chœurs en nappe de KidA. Un mix ancien qui nous transporte en 2017. Un travail de tapissier chez Jonny Greenwood qui nous comble le fond en couches épaisses. Une ribambelle aiguë désordonnée clôt cet amalgame. Différent à chaque écoute.

“The Numbers”. Une ballade nonchalante qui a pour intérêt principal le travail des claviers, des envolées de cordes et de la basse sourde qui bourdonne.

“Present Tense”. Le Radiohead acoustique et tribal qui s’écoute au coin du feu. Dans la continuité d’un There There et des moments doux d’un Paranoid Android. Une douce transe agréable.

“Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggars Man Thief”. Beaucoup de mots, peu d’intérêt. Surtout à ce stade de l’album pour un titre quasi instrumental. La richesse des compositions précédentes rend ce titre redondant. Comme un trop plein de bonne brioche. Une certaine lourdeur.

“True Love Waits”. Cette chanson évoque forcément des choses à qui a suivi Radiohead dans ses errances passées. Mixée et enregistrée pour la première fois en 21 ans en studio, la chanson prend une dimension autre. Sa vie en live était acoustique, autour d’une guitare. Radiohead lui rend hommage au piano, comme un retour à l’essentiel. Un attentisme est palpable, la notion du temps s’effrite, les mots traînent à l’infini. L’urgence n’existe pas et nous pouvons donc attendre (21 ans). Tenus en haleine par le clavier résonnant à gauche, nous devenons sensibles à la moindre note de clavier aigu qui équilibre. Quelle est l’issue de ce titre ? Attendre indéfiniment ou se perdre dans les abîmes ? Le clavier défile tels les bons moments nostalgiques. Alambiqué. Un pont suspendu d’un moment de métro.

Il est difficile de chroniquer Radiohead sans narrer les états par lesquels je passe à l’écoute de l’album. Si ceci est personnel, c’est sûrement plus parlant. À nuancer. Devant un monument de son, c’est à chacun de se faire une opinion. Et c’est votre opinion qui sera juste. A noter également le souhait du groupe de proposer ses titres par ordre alphabétique. Un renoncement ou une liberté totale. Je penche pour le second et vous propose de parcourir cette piscine comme bon vous semble.

Un album de nacre, soyeux et précieux. Le son cristallin est parfait, sincère et précis. Le génie n’a pas fini de faire parler de lui dans une combinaison gagnante et invariable. Combinaison ici au sens des personnes. Un des rares groupes constitué toujours de ses uniques membres fondateurs.
Radiohead n’a pas de recette. Hormis celle de ne surtout pas en avoir.