Timothée Régnier, 36 ans, alias Rover est ce que le rock français a eu de plus magnifique à offrir ces dernières années. Avec un premier disque éponyme d’une beauté crépusculaire paru en 2012, le français qui a partagé sa vie entre Beyrouth et New-York nous revient avec un deuxième disque (enregistré en Bretagne) d’une beauté à couper le souffle…
Some needs ouvre ce chef d’oeuvre avec cette voix habitée et immense qui est la sienne. Doté d’un vibrato à la David Bowie, Rover nous noue la gorge d’entrée de jeu. Une voix d’outre-tombe capable de se ballader d’une octave à l’autre à la manière des Tim Buckley ou Brian Wilson. Ces choeurs célestes dont il affuble la chanson sont en tout point un ravissement. Les guitares carillonnent et se laissent porter par une basse au grain chaud. On pense à Gainsbourg avec l’album “Melody Nelson”. Des arrangements somptueux sublimés par une production exclusivement analogique. Rover a d’ailleurs enregistré l’intégralité de ce disque sur la console de mixage qui avait servi à enregistrer “Melody Nelson”. Il n’y a pas de hasard…
Une ligne squelettique de clavecin amorce Odessey avant que vienne souffler un mellotron imprégné d’une douce nostalgie. Le piano effiloche des descentes dignes des Zombies sur leur bijou “Odessey & Oracle”. Autre influence flagrante, les Beach Boys et les arrangements baroques de Brian Wilson. Dans ce manège féérique qui suspend le temps avec la grâce d’un albatros, la batterie dégringole en cascade comme sur “A day in the life” des Beatles. Rover nous emmène vers le grand large. Nous flottons dans cette apesanteur qui se fait de plus en plus tourbillonante dans les dernières mesures de la chanson.
Avec Call my name, l’artiste nous plonge dans un registre plus noir. Le refrain a des airs d’Interpol. Le timbre se fait lourd et grave. Rover esquisse une incantation quasi-mortifère avant de s’énerver avec rage dès 2 minutes 30 au chant tel un boxeur KO acculé sur le ring et délivrant un dernier uppercut en guise de désespoir. Las, il s’écroule, transi, vaincu… dans un linceul d’arpèges délicieusement scupltés au tremolo.
Tiens un orgue pianote de manière ingénue… C’est ainsi que démarre Innerhum. Respiration saccadée alternant différents battements syncopés. La lueur des Zombies se fond dans celle des Maccabees ou Elbow, deux très bon groupes contemporains d’outre-manche. Rover singe Brian Wilson dans ses envolées lyriques vers l’aigü. A 2 min59, la chanson vire de cap. Le tempo ralentit sous les coups de boutoir d’un duel piano/batterie complètement inspiré par l’oeuvre “Melody Nelson” de Gainsbourg.
Piano toujours sur Trugar : l’arme de prédilection de Rover sur ce disque. Nous reprenons notre voyage vers l’immensité. La batterie saccade le mouvement. Nous nous élevons toujours plus haut, observons les plaines puis l’océan qui défile sous nos yeux à la vitesse d’un kaleidoscope. Rover tutoie toujours les anges de sa voix stellaire. Il y a de grosses influences classiques dans cette musique de chambre (Bach pour ne citer que lui) déversée pour les grands espaces.
Un harmonium labyrinthique ouvre une porte vers un couloir baigné d’une lumière onirique. Fascinant. C’est ce que l’on ressent à l’écoute du suprenant HCYD… Avons-nous gagné les méandres du paradis ? Dans un écrin d’échos et de réverbes contagieux, notre âme flirte avec le firmament. Radiohead aurait pu se fendre d’un titre de cette trempe. Un titre tout en claviers (orgue, harmonium) subtilement cadencé par une boîte à rythme fantômatique. Les nappes de choeurs qui enveloppent chaque recoin de la chanson sont une bénédiction pour l’ouïe. Un titre d’une beauté virginale.
Let it glow surfe sur un piano qui rappelle quelque peu “Pyramid song” de Radiohead, on rêvasse les yeux grands ouverts… Cet album est une pure contemplation. Pas de hits sur ce disque. Juste un voyage vers l’éternité. Gainsbourg toujours sur l’interlude très “Melody Nelson” (toujours) avec cette guitare crunch qui griffe ici et là une basse rondelette et sautillante pendant que des nappes réverbées du plus bel effet caressent la voie lactée…
Claustrophobie ponctuée d’un “Ok”. Machinalement la charley tape son beat hypnotique sur lequel la basse scande ses notes… Sur Along, Rover scalpe son phrasé dans un inquiétant barnum digne du meilleur d’Interpol. On pense aussi à l’ambiance de fin du monde de “Welcome to the machine” de Pink Floyd. Et soudain dans ce tréfonds surgit un clavecin guilleret à la Bach. Fugace éclaircie dans ce ciel bas et lourd… La chape de plomb se referme une dernière fois.
L’odyssée de Rover touche bientôt à sa fin. Glowing shades et son atmosphère baroque à la Divine Comedy amorce la descente. L’estomac est noué. Rover implore ou déplore, c’est selon. Comme si la bête se débattait dans ses méandres. Apaisement, un piano délie ses notes jusqu’au dernier souffle…
In the end attaque sur une dernière montée d’adrénaline, totale ambiance “Saucerful of secrets” de Pink Floyd. Stridence, orgue orientalisant, tandem basse/batterie métronomique, plongée en apnée… La carcasse est prête à imploser. Il n’en sera rien. Rover, tel le Albator du rock, toise le panorama dévasté qui s’offre à lui. Seul dans son habitacle, il plonge dans une faille, vers un point de non retour. Un dernier filet de lumière. Une dernière inspiration. Noir total.
Fin du trip. Chef d’oeuvre. Joie.