The Limiñanas – Malamore

5 titres d'excellente facture permettant de bien saisir l'esprit de l'album : El Beach, Prisunic, The Dead are Walking, Malamore et Kostas.

The Limiñanas ? C’est le souffle d’un Western rock US teinté de Garage psychédélique et de Yé-Yé. La formulation est un peu pompeuse il est vrai mais leur musique est pour le coup totalement ensorcelante. Concoctée à Perpignan plus exactement. Ville féconde qui nous avait notamment offert les très bons Hushpuppies au début des années 2000.

Lionel et Marie Limiñana (la quarantaine) qui forment ce duo depuis 2009 parviennent enfin à obtenir un début de reconnaissance en France. Pourtant le couple a reçu les louanges à l’étranger de Jack White, Bobby Gillepsie (Primal Scream), Peter Hook (New Order, qui officie ici en guest sur l’un des titres) et Anton Newcombe (Brian Jonestone Massacre). Pas n’importe qui et surtout flatteur de la part de ces quatre mercenaires ultra-respectés dans le milieu rock.

Sur ce disque en clair obscur on retrouve un habile mélange d’influences dans un écrin minimaliste. Le tout servi par une production lo-fi au son feutré. Des giclées de guitares fuzz, des moulinettes de wah-wah, des claviers lysergiques, de la surf music underground, des textes laconiques et toxiques. La version desperado garage d’un autre groupe français qui envoie du bois en ces jours : La Femme.

L’album de The Limiñanas s’inscrit dans une pure tradition garage voire punk. Mais avec un vrai sens du raffinement. Des chansons au leitmotiv binaire. Des chansons dont les courroies dessinent un mouvement répétitif. Jusqu’à siphonner les hémisphères cérébraux. Des chansons tournoyant sur elles-mêmes telles des toupies malignes et incandescentes. Injection d’un poison qui s’immisce lentement. Nous nous laissons dompter. Plein d’influences transpirent dans ces chansons hypnotiques : The Black Angels, eux-mêmes dignes héritiers des 13th Floor Elevator. Cela pour les ingrédients maléfiques qui coulent dans les veines des chansons de “Malamore”.

Un disque d’ambiance. Un western spaghetti qui déraille. La chanson Malamore. L’odeur du mépris et de la rédemption. Crachats de fuzz avec une totale désinvolture. Des paroles pleine de bile éructées dans un anglais frenchie du meilleur effet. Coups de poings, lames, giclées de bourbon sur l’asphalte, rouge à lèvre sur la culasse du revolver, zigues vautrés dans des fauteuils club sous des volutes de fumée… Interlude country avec El Sordo. Des visages burinés par un soleil écrasant, des gueules à la James Coburn ou Charles Bronson, bienvenue dans le monde du Bon, la Brute et le Truand revisité à la sauce Tarantino. Oui cet album a vraiment de la gueule.

“Malamore” est aussi un rodéo rock virant au cauchemar à mesure que les chansons défilent à l’image de la lancinante mais rébarbative Dahlia Rouge. On lui préférera la ténébreuse The Dead are Walking au beat luciférien. Captivant. Malfaisant. Un cauchemar voilé. Suggéré. Comme sur l’oeuvre “Melody Nelson” de Gainsbourg dont l’influence est ici évidente dans le phrasé narratif que l’on retrouve sur certains titres comme Prisunic, El Beach, Kostas et Zippo.

El Beach et son beat entêtant et rebondissant à la “Bonnie & Clyde”. Le soleil brûle. La pression s’accélère. Montée d’adrénaline sous un ciel suffoquant. Paroles caustiques qui masquent un malaise. Une tension certaine. Un piano bastringue frappe telle une enclume. Carcan. La cervelle va péter. Ça va péter sec. Les sens s’égarent au son d’une gigue orientale.

Prisunic: une poésie urbaine scandée mécaniquement avec ses rimes en “ique”. On pense à Jacqueline Taieb et sa chanson yéyé “Sept heures du matin”. Une batterie métronome et une guitare en fil de verre servent de fil conducteur à Garden of Love. Chant susurré. Sexy. Habité. Exhalaison d’un baiser hanté. Une chanson qui nous rappelle au bon souvenir d’Emmanuelle Seigner & Ultra-Orange.

Au-delà d’un répertoire qui sent bon les sixties, le psychédélisme et le folk blues crasse, les Limiñanas ont sans doute été aussi bercés au son de certains artistes du courant yé-yé, mais plutôt du côté de Jacques Dutronc, Ronnie Bird et François Hardy que de Sheila ou Dave… Ce “Malamore”, taillé dans un roc brut et fiévreux, porte aussi en lui les germes d’un garage folk rock élégant made in France façon Rebels of Tijuana.

Plus loin, le groupe ferraille un Kostas qui virevolte au son d’une gigue tantôt yéyé, orientale et psychédélique avec ces pétarades de guitare fuzz au karma couleur Ty Segall. Zippo se teinte de fièvre psychédélique. Un déluge de wah-wah et de larsens. Une coulée de lave, de la roche en fusion où jaillissent les éclats de Ty Segall, Black Angels et Jesus & Mary Chain.

Horizon cinématographique sur Paradise Now. Une basse chewing-gum bourdonne élastiquement. Le clavier joue sa partition nocturne. Vapeurs. Volutes. Éther. Opium. On flotte. Paisiblement. Dernier coup de semonce avec The Train Creep A-Loopin. Riff de guitare rockabilly façon générique de Batman. Quatre notes répétées inlassablement. Un train fantôme lancé frénétiquement dans un précipice où se fracassent des guitares fuzz affûtées comme un cutter, une wah-wah baveuse en ébullition, une batterie qui envoie le plomb…

Avec “Malamore”, The Limiñanas livrent un disque racé et élégant. On pourrait lui reprocher ses constructions monolithiques et répétitives. Mais The Limiñanas possède cette science des arrangements et des tensions dans la droite filiation du Velvet Underground ou de The Kills.