Tobias Jesso Jr – Goon

A écouter en priorité : "The wait", "How could you Babe", "Without you" et "Crocodile tears".

Ce disque merveilleux est réconfortant. Il fait du bien et conchie sur tous ceux qui ne jurent que par le génie torturé d’un Radiohead ou la masturbation instrumentale et mégalo d’un Muse…

Tobias Jesso Jr, Canadien de 30 berges, sort en 2015 son premier effort. Musicien parti tenter sa chance à Los Angeles. Las, il essuie une série de revers et s’en retourne à son Vancouver natal. Episode raconté sur la chanson “Leaving LA”. L’histoire raconte qu’il aide à déménager l’un de ses amis qui dirige une entreprise de déménagement de pianos. Guitariste de formation, Tobias Jesso Jr se découvre une passion pour le piano, un instrument qu’il n’avait jamais effleuré par le passé. Une révélation. Il besogne dans son coin et délaisse les cordes pour dompter les touches d’ivoire. A tel point que cet instrument est l’épicentre, la colonne vertébrale de tout son premier opus. A l’instar de John Lennon sur l’album “Imagine”.

Douze titres remplissent la galette. Douze jolies mélodies d’un écrin pur. Quatre producteurs aux commandes dont Patrick Carney, batteur des Black Keys. Un piano hésitant se promène, un peu bancalement, ce qui fait son charme, sur la chanson inaugurale “Can’t stop thinking about you”. Une voix posée, suave, sans maniérisme, glisse doucement sur ces frêles notes de clavier. Elton John période “Honky Château” en embuscade. Notre canadien élève dès le deuxième titre le niveau de jeu avec le somptueux “How could you Babe”portée aux cieux par un ensemble de choeurs aériens, cette ballade alterne couplets flottants avec la légèreté gracile d’une plume et refrains teintés d’une certaine rage plus ou moins contenue. La très Spectorienne et Lennonienne “Without you”est d’une beauté absolument désarmante. Piano/batterie embrassant un chant reverbé sans excès tout simplement, comme savait si bien le faire John Lennon en son temps. Less is more… Un précepte parfaitement bien mis en relief sur ce disque. Frissons, gorge nouée, mélancolie viscérale…

Sur “Can we still be friends”, Tobias Jesso Jr lorgne du côté de Paul McCartney, le timbre, les arrangements de cordes, la composition. Là encore, une rythmique piano dans son plus simple appareil. Mais qui fait admirablement mouche. Alors qu’on a déjà pris quelques claques avec simplicité en maître mot, voici que le bougre nous fait le coup d’un “Blackbird” à la McCartney ou “Leziah” façon The Coral. Pied sur la grosse caisse pour donner le rythme, et guitare tressant boucles d’arpèges, ni plus ni moins… Tobias Jessor Jr vient de tailler un diamant à l’éclat intemporel avec cette ballade folk pop initulée “The wait”. La machine à tartes n’est pas prête de s’enrayer. “Hollywood” couché sur un piano raide et gentiment lugubre. Quelques toms joués avec parcimonie pour appuyer le propos lequel narre les déconvenues du chanteur dans ses tentatives de se faire un nom en Californie. Final spectral et théâtral digne d’un Harry Nilsson de la grande époque.

Titre n°7 : “For you”. Le tempo se fait plus entrainant. Nouvelle intention Lennonienne & Spectorienne. Batterie réverbée et énervée à la “Instant Karma”. Titre dispensable. On lui préfère nettement la géniale “Crocodile tears” frappée du sceau d’Harry Nilsson et John Lennon. Marche martelée sur une cadence militaire. Une rare guitare électrique harmonisée griffe de sa patte la procession funèbre. Le chant change. Il se fait désinvolte. Limite rigolard, cynique car en total contraste avec l’atmosphère martiale de la chanson. Intimité totale sur “Bad words”, son clavier Fender Rhodes, sa caisse claire omniprésente et son chant noyé dans un effet radiophonique. Ambiance tamisée faite de feutre et de velours rouge. La nuit enveloppe de son linceul cette jolie ballade aux allures surannées. Sur “Just a dream”, l’oiseau de nuit désenchanté redéploie ses ailes. Tout simplement beau et délicat. Quand mélancolie pop, airs jazzy et swingin’ New Orleans ne font qu’un, cela donne “Leaving LA”, un autre saphir qui scelle le statut définitif de petit chef d’œuvre à ce disque. Un troisième et dernier titre faisant apparaître une rare guitare arpégée sur ce disque vient refermer cet almanac de chansons. Le violoncelle grince, grimace et se lamente sur ce “Tell the truth”. Une dernière ballade fugace, un dernier soupir.

Ce disque est admirable. Admirable de par la preuve qu’il n’y a pas besoin d’être un génie instrumentiste pour accoucher de chansons intemporelles et touchées par la grâce. Il est la preuve que l’on peut également faire un chef d’oeuvre avec peu de moyens et surtout avec une esthétique privilégiant minimalisme et humilité. Tobias Jesso Jr s’inscrit dans la même mouvance que ceux qui l’ont précédé : Leonard Cohen, Bob Dylan, John Lennon (période solo) et Adam Green pour ne citer qu’eux. La classe quoi…