Travis – The Man Who

Claques parmi les claques pour une playlist "chair de poule" : "Luv", "The Fear", "As you are" et "Driftwood".

An 1999. Fin du millénaire. Fin d’une époque en Angleterre. Le courant Britpop sombre. 1997 ou l’année fatale : Radiohead a porté l’estocade avec “OK Computer”. Oasis s’écroule avec le mammouth rock “Be here now”. Version cocaïne. The Verve accouche cependant du testament Britpop ultime avec “Urban Hymns”. Mais version trip LSD. Comme un dernier exutoire, une dernière inhalation ésotérique. L’Angleterre a cessé de fêter le rock avec excès. Place aux vibrations mélancoliques. La lune grimace comme dans les images de Georges Méliès. Radiohead a montré la voie. Coldplay et Travis emboîtent le pas d’un rock nocturne mais sans le versant Prog Rock de la bande à Thom Yorke.

On a oublié, du moins en France, ce groupe venu de Glasgow. Mais pendant 3 ans ils ont trusté les charts, les ondes radio et étreint les âmes éplorées. Ils n’ont pas viré mainstream US dégueulasse comme Coldplay. Ils sont restés intacts, ce qui leur a valu de disparaître des radars. Mais en 1999, avec leur deuxième album intitulé “The Man Who” en hommage à Stanley Kubrick qui venait de s’éteindre, les quatre de Glasgow ont signé un chef d’œuvre de pop délicate qui mérite qu’on s’y attarde.

Dix titres d’une beauté époustouflante. Dix titres baignant dans une lumière pâle hivernale. A la fois épiques et délicats pour nombre d’entre eux. Dans le sillage de Radiohead si ces derniers avaient décidé de creuser la verve mélancolique de “The Bends” à l’image de la chanson inaugurale Writing To Reach You.

La réécoute de ce disque plus de 15 ans après sa parution est sidérante. Des chansons poignantes à placer du côté de la pop orfèvre de Belle and Sebastian. Sublimées par la voix angélique de Fran Haley. Un timbre majestueux. Du velours. Moelleux et fragile comme sur cet As You Are qui fout la chair de poule. Et évoque inlassablement Jeff Buckley s’éreintant avec Radiohead. The Fear double la mise. Intro Floydienne, rythmique feutrée et cool, “The Bends” en embuscade, voix susurrée à fleur de peau, final space rock. Tout simplement génial.

Fran Haley dispose de chansons aux mélodies magnifiques. La tristesse infinie qui étrangle Why Does It Always Rain On Me ? est une merveille de composition : un refrain céleste, un violon grinçant et une rythmique à l’apparence joyeuse mais sempiternelle. Aux commandes côté production, le génial Nigel Godrich, celui qui accompagné la mue de Radiohead dès “The Bends”. Il signe ici une production aérienne, sans sophistication sibylline, simplement pure et cristalline. Aux antipodes de ces travaux plus avant-gardistes avec Radiohead, Beck ou Air.

Driftwood est un autre de ces calibres portés par un pont et un refrain épique sur un lit de guitares aux arpèges teintés de verre. Finesse est le maître mot qui gouverne cet album. Pas de fioritures, de démonstrations de force, de structures alambiquées. De la pure british pop qui se met au service de la mélodie. Une signature intemporelle. Une signature à l’émotion ascensionnelle tel ce Turn magnifié par la beauté des couplets au chant et cette fantastique caisse claire qui rebondit et claque dans un écho Spectorien. Avant que ne jaillisse ce refrain stellaire. Coldplay et ses ersatz (Keane, Starsailor…) sauront par la suite imiter la recette avec le succès qu’on leur connaîtra.

Le disque contient de belles surprises à l’image de The Last Of The Laughter. Une tessiture érigée sur un écrin orientalisant, des paroles croisant langue de Shakespeare et de Verlaine, Travis dévoile une autre palette intéressante de son jeu et de ses influences. Toujours avec le sens de l’harmonie et de la sobriété. On pense à Beirut. Avec Luv le groupe nous met définitivement KO. Un harmonica western ouvre les pages d’un paysage désolé. D’une beauté mortifère à pleurer. Ambiance flocons de neige s’écrasant sur un cœur qui ne parvient pas à cicatriser.

She’s So Strange et sa pop nostalgique illuminée par des chœurs d’outre-tombe vient confirmer ce chef d’œuvre d’album sans qu’on n’y prête gare. Et Slide Show de ponctuer le tout avec élégance. Une acoustique dans son plus simple appareil légèrement soutenue par de sobres arrangements de cordes. Un épilogue parfait. Intelligent. Fin. A l’image du groupe. Ce n’est qu’une réécoute attentive de cet album avec quinze années de recul qui fait réaliser que sans le savoir, nous avions dans les mains un joyau.

C’est là toute la magie de la musique, à savoir que rien n’est jamais figé. C’est aussi ça le bonheur.