Le deuxième album du californien est un summum. Exit le mainstream. Welcome les chansons non formatées pour la FM. L’Amérique profonde et traditionnelle bat son plein dans ce dédale de compositions baignées de tout ce qui a fait de cette Amérique folk, blues et rock un sanctuaire immortel et dont chaque recoin demeure un enchantement qu’on ne se lasse d’explorer.
Jonathan Wilson, 39 ans (à la sortie de “Fanfare”) fait partie de la caste de ces artistes qui savent chanter et jouer de tout. Bluffant d’autant plus que le bonhomme joue de tout à la perfection. Aussi prodigieux derrière un piano qu’une guitare. En témoigne l’incroyable démonstration free jazz à la guitare sur Dear Friend… Un petit chef d’œuvre.
“Fanfare” est un long et magnifique roadtrip de plus d’une heure qui nous fait sillonner l’Amérique. Cela démarre façon Electric Light Orchestra sur le titre éponyme Fanfare. Une introduction solennelle au piano. Les grands espaces s’ouvrent et s’enchevêtrent. La réverbération appuyée sur la batterie donne le ton. Grandiloquent mais pas putassier. Un soupçon de Pink Floyd plane au dessus d’une terre d’ivoire.
Le carrousel de “Fanfare” se nomme Dear Friend. Une mélodie enfantine dégainée au gré d’une valse. Un trompe l’œil. Le refrain crible aussitôt ces couplets ingénus. Une colère contenue qui se dissipe dans un exercice de jazz rock avant-gardiste. Le son moelleux de la guitare est un délice. Formidable archer, Wilson virevolte et dégaine escarmouches et banderilles. Le batteur studio qui l’accompagne livre un récital. Époustouflant. Une écoute au casque est plus que conseillée étant donné la production parfaite qui enrobe ce disque. On quitte Dear Friend sur un contre-point final orageux.
Il est aussi question de bravoure rock sur “Fanfare”. Illumination est ce cet acabit. Déluge électrique de guitares jouées avec un style très relâché dans la droite filiation du “Loner” (Neil Young). Le timbre vocal de ce dernier est d’ailleurs volontairement ou non singé sur cette chanson qui sent bon l’orage. Les guitares lacèrent un ciel d’airain. Tout est moite. Et soudain un orgue ténébreux engage la chanson vers un autre territoire sur fond de groove rutilant et gras à base de fuzz. L’art de surprendre. De contourner les évidences. La marque de fabrique de ce très bel album.
Wilson sait aussi taquiner un registre folk/americana avec une délicatesse rare de nos jours. La ballade Desert Trip est un joyau. D’une beauté désarmante. Qui fout le bourdon, à en chialer… Josh Tillman (alias “Father John Misty” de son nom de scène, et également batteur des Fleet Foxes) appose ses chœurs élégiaques. Une magnificence qui évoque indubitablement les chœurs d’un même patronyme célèbre, Wilson du côté de la fratrie Beach Boys.
Cecil Taylor creuse ce sillon folk/americana avec en prime deux invités de marque. Deux figures de ce mouvement : les mythiques David Crosby et Graham Nash, pionniers du genre dans les années 60. Des pointures qui accompagnent Jonathan Wilson sur ce titre aérien au final ésotérique, mystique, impromptu… Toujours cet art de surprendre, de brouiller les pistes.
D’inventivité il en est question avec le faramineux Future Vision ! Un morceau qui démarre dans le passé avec des réminiscences Beach Boys. La faute aux sublimes ornements vocaux de Josh Tillman. On pense aussi au “Pacific Ocean Blue” de Denis Wilson. Et soudain Jonathan Wilson casse le morceau. Virage dans un registre Supertramp. Le piano sautille façon disco. Et un final limite prog rock ! Quelle richesse ! Quelle production d’orfèvre ! New Mexico et ses envolées de flûte à la Jethro Tul sont également une merveille comme on en fait plus…
On délaissera deux titres sur le bas côté de la route. Her Hair Is Growing Long et ses incantations latinos à l’onirisme soporifique. Ennuyeux. Et puis Fazon, reprise d’un obscur groupe psyché 60’s de San Francisco Sopwith Camel. Les digressions jazz rock ne sont pas déplaisantes mais il y a un côté un peu variétoche qui coince…
“Fanfare” rend aussi un bel hommage à la période 70’s “Street Legal” / “Desire” de Bob Dylan avec ce Love To Love enjoué. Tempo pressé. Phrasé chanté/narré. Le rock épique de Bruce Springsteen ne caracole pas très loin non plus… Moses Pain baigne dans ce même jus country/folk rock. Dans la tête défilent des images de marais, de Louisiane, de rockin chair, de culs de bouteille de bourbon, de tabac au maïs, de chemins de fer rouillés… Le final homérique soulève l’âme. Épique. Springsteen encore. Crosby, Stills & Nash toujours.
Cet album est un trésor. Jonathan Wilson a su trousser des chansons en forme de cabinets de curiosité. Truffées de nombreuses galeries que l’on arpente avec délectation. La majestueuse Lovestrong en est la meilleure incarnation. Une ballade piano céleste en guise de première séquence. Suivie par un interlude que tout fan de David Gilmour et Pink Floyd ne pourra qu’apprécier. Les ressemblances avec le titre “Echoes” du Floyd sont d’ailleurs flagrantes. La dernière séquence est stellaire. Lévitation totale.
All The Way Down, dernier clin d’œil Dylanien, clôt le voyage sous un immense ciel teinte d’encre noire… Les cordes grincent et se lamentent. Une effluve verre tinte dans l’obscurité. On contemple alors la pochette…
Comme une évidence les notes retombent une à une comme le souffle de la Création…
Et nous effleurons du bout de l’index un chef d’œuvre. Un disque qui sublime la musique à l’état de l’Art.