The Zombies – Odessey and Oracle

Carré d'as Pop : Time of the Season, Hung up on a Dream, Care of Cell 44 et Changes

Avec un nom de groupe pareil on penserait d’ordinaire à une formation de type hardcore ou metal… Une bande d’énergumènes grimés en Alice Cooper et déversant une musique des ténèbres à faire frémir les petites têtes blondes la nuit… Non, rien de tout cela… The Zombies incarnent tout le contraire : un groupe de « nerds » qui ne paient pas de mine, des tronches de polards, étriqués dans leurs costumes cravates sixties. On ne miserait pas un kopeck sur eux…

A tort…

En 1968, date de publication de leur deuxième album, le groupe a déjà capitulé… Le quintette ne rencontre pas le succès escompté malgré un début de carrière idyllique sur fond carton planétaire (le single « She’s Not There » en 1964). Les singles qui suivent en 1967 flopent dans les charts. Leur maison de disque Decca Records les lâchent. CBS les rattrape au vol et leur donne de quoi produire de nouvelles chansons. Trois singles sont enregistrés à Abbey Road dont la sublime Care of Cell 44 promise à devenir un tube. Multi-diffusée en radio, les ventes ne suivent pas. Un mystère. Maudit, le groupe se fissure et décide de se saborder tout en enregistrant neuf autres titres pour parachever leur testament : « Odessey & Oracle ». Leur deuxième et dernier opus.

Résultat ? Un Everest musical.

Un disque foisonnant de couleurs et d’ornements baroques somptueux. La musique des Zombies se place à la gauche des Beatles période « Revolver » et à la droite des Beach Boys période « Pet Sounds ». Magistral.
Douze vignettes enregistrées fin 1967 à Abbey Road dans la foulée des mythiques sessions de « Sergent Pepper » des Beatles et « Pipers at the Gates of Dawn » de Pink Floyd. L’ingénieur son n’est autre que Geoff Emerick qui s’est illustré avec les Beatles. L’équipement dernier cri des studios Abbey Road couplé au talent d’Emerick expliquent ainsi la magnificence du son de l’album. Un son aussi pur que l’air de l’Arctique.

Care of Cell 44 signe une ouverture sur un instrument très en vogue à cette époque dans le Rock : le clavecin. Pop florale. Vibrations printanières. Chœurs célestes. Un hymne à la joie porté par un ensemble couplet/refrain homérique. Un piano sempiternel ouvre la ballade A Rose for Emily. Des accords plaqués sommairement pour servir de chemin de traverse à une interprétation vocale d’une candeur gracile et aérienne. Les chœurs sont un modèle du genre. Dépouillement flirte ici avec immensité.

Sur Maybe After He’s Gone, les Zombies touchent au firmament. N’ayant rien à envier au génial Brian Wilson en terme de composition pop baroque. Subtilité est le maître mot : une guitare acoustique qui délie ses arpèges, des chœurs envoûtants, un piano fugace, une batterie qui hoquète allégrement. On pense naturellement à Love période « Forever Changes » avec ses envolées lyriques sur fond de cavalcade folk pop.

On poursuit la promenade sur l’oraison automnale de Beechwood Park. La guitare passée sous cabine « Leslie » impose une solennité légèrement funeste. L’orgue allonge le pas sur cette procession religieusement pop. Brief Candles cabote entre couplets mélancoliques et refrains baroques explosifs. Les Beach Boys n’étaient donc pas les seuls avec les Beatles à maîtriser cette science. Plus remarquable encore sont les arrangements. Beaucoup plus édulcorés et équilibrés que ceux de Brian Wilson. Permettant à l’ouvrage de beaucoup mieux passer l’épreuve du temps que l’auguste « Pet Sounds ».

Encore une claque sur le déchirant Hung Up on a Dream digne du meilleur de Love. Trois minutes lustrées par une formidable richesse des ornementations qui nous laissent béat (ces chœurs !). Batterie et guitares portent l’estocade, piano et mellotron (celui utilisé pour « Sergent Pepper ») bucoliques jouent à l’unisson, un acte de bravoure pop baroque synonyme de chef d’œuvre.

Une intro au mellotron. Des chœurs a capella estampillés Beach Boys. Percussions discrètes. Mellotron soyeux. Changes prouve ici définitivement que le tandem Colin White/Rod Argent tenant les rênes de la composition, n’a rien à envier aux plus grands de l’époque ni même au graal Lennon/McCartney/Wilson. Dans un moule totalement épuré, cet exercice à la « Eleanor Rigby » est une petite merveille de pop pastorale.

I Want Her She Wants Me se décline sur un clavecin guilleret. Un petit air de Kinks et Bee Gees période psyché 60’s flotte dans l’air. Bande son d’une dolce vita aux essences charnelles. Ironie d’un groupe se sabordant sur This Will Be Our Year ? L’année du succès toujours espéré mais jamais venu… Une ritournelle piano pop facétieuse.

Butchers Tale dénote un peu par rapport au reste du disque. Une chanson qui narre l’horreur de la guerre de 14/18. Une nausée parfaitement bien retranscrite par ce clavier qui sonne comme un accordéon esseulé et ivre. Le chant n’est pas en reste. Plaintif. Un mouroir. Désespoir des tranchées… « Please let me go home » expiré comme un râle. Tout le contraire de la virée ensoleillée proposée par l’estivale Friends of Mine. Un refrain sautillant, gorgé d’optimisme. Manège féérique. Une toupie dansante à la mécanique pop sixties bien huilée.

On se quitte sur Time of the Season, autre calibre d’exception. Pour l’anecdote, CBS sortira post-mortem la chanson en single. Un hit majeur aux USA alors que le pays natal des Zombies, l’Angleterre, continue de les bouder… Ce hit intervient trop tard. On est en 1969. Le groupe appartient au passé. Cruel… Mais quelle chanson ! Fixée sur un ressort rythmique chaloupé façon « Stand by me » (BB King), on navigue en pleine incursion soul. Le chant de Colin Blunstone est fiévreux. Les percussions claquent dans la voie lactée. Et le clavier indomptable de Rod Argent se fend d’un solo démentiel en guise d’adieu.

« Odessey & Oracle » est un élixir pop divinatoire. Une œuvre abondante, délicate, sans boursouflure, sans dérivé mégalo. Rien n’est indigeste. Tout n’est que confiserie et rêverie. Encensé par la critique à sa sortie mais snobé par les radios, l’album a sombré tel un trésor au fond de l’abîme. Devenu culte et réhabilité par quelques pointures comme Paul Weller, ce disque fascine et laisse une question qui n’aura jamais de réponse : quelle aurait été la teneur de l’œuvre de ces Anglais si d’autres albums avaient succédé à cet opus qui est une claque magistrale ?
Vous avez douze chansons pour y réfléchir.

Ouvrez les écoutilles. Et belle odyssée à vous.