St. Vincent – St. Vincent

Les trois titres à écouter en premier : "Rattlesnake", "Birth in Reverse", "Digital Witness".

Et hop ! Le 4ème album d’une pure inconnue à mes oreilles. Pour info, St. Vincent (alias Annie Clark) est la grande gagnante 2014 avec le Grammy Award du meilleur album de musique alternative et le NME Award du meilleur album. Il fallait que ma méconnaissance cesse. A 32 ans, Annie Clark compose, joue, détourne et rafistole. Après avoir rejoint les rangs live de Sufjan Stevens en 2006, elle s’achète une gloire de microcosme en assurant des premières parties parisiennes importantes: Arcade Fire et The National. Un son de base baroque à la Kate Bush, contestataire à la PJ Harvey mais trituré électro-prog-rock, au gré des envies du moment. St Vincent est créative et dans son temps.

Et l’album ouvre sur “Rattlesnake”, un air de console de jeux, époque Nes. Du pixel, du 8-bit, du superhéros flou et des sauts à la Mario Bros. Champignon. High score. Bienvenue dans un monde fantasmagorique, 80s teinté de machines. Tout se mélange, seul le beat ne déroge pas.

“Birth in Reverse” lance la guitare funky/cocottes. Pourtant c’est différent. Sombrement funk. Une gaité de passage emportée par un refrain disco. La basse se cherche, pour ponctuer de glissades l’envolée lyrique. Et comme souvent, tout cela part ailleurs encore, au gré d’un solo mélodique désarçonnant.

“Prince Johnny” vient du froid, quand Madonna époque Ray of Light rejoint Bjork et ses machines polaires. Un très bon titre plus simple d’accès. Un air de déjà-entendu. Pourtant pas. Le nouveau fait avec de l’ancien mixé. Le single idéal pour découvrir St Vincent sans être effrayé.

“Huey Newton” se joue de codes RnB à la sauce islandaise au premier abord. Mais c’est bien plus. Un titre feutré qui aurait pu être interprêté par les Arctic Monkeys (époque AM), la reverb se noie dans un delay atmosphérique, quelques notes ponctuent pour ajouter du mystère. Et ce son de console qui revient et s’harmonise à l’aigu. Une dose d’électro et de tournerie QOTSA. Casper le fantôme s’immisce même par le biais d’un orgue psyché detuned.

Résonnez cuivres, et cor ! “Digital Witness” est un combat retro de chaque instant. Ressortez synthétiseur et basse du Prince de Bel Air, ajoutez de la fuzz pour du gras, une voix qui groove, un son spatial évoquant Broken Bells et vous obtenez un mélange dans l’air du temps. Branchouille, à écouter chez votre barbier préféré.

“I prefer your love” commence très mal et ne m’a jamais emporté. Du Madonna plus direct, moins de musique et moins de musicien. Les nappes atmosphériques sonnent creux et deviennent attendues. Passons vite.

“Regret” est une accumulation de couches compressées et d’éléments merveilleux. Telle cette guitare-harpe-clavecin qui égraine et cette guitare-synthé-Moog qui riffe. Un exercice d’équilibriste de composition. Encore une fois, je suis ravi d’entendre un son nouveau, inconnu et inclassable. Et de me laisser porter par ce conte aux frontières d’un opéra cosmique.

“Bring me your loves” est féminine, un cri d’une Hole destroy qui aurait rencontré les Destiny’s Child pour le flow. Mais est-ce bien raisonnable?

“Psycopath” porte le bon nom. C’est l’itinéraire d’un son qui se cherche, se torture, rebondit toujours en moins bon, et en devient bruyant. Le refrain d’une belle pureté est inattendu et calme le jeu d’un entêtement incessant.

Attention, nous avons ensuite affaire à un riff. Typiquement machinal, toute fuzz dehors. “Every tear disappears” sonne comme une revanche qui nous prend et nous emmenera loin. La dualité douceur facile / grain machiavélique apporte un supplément d’âme. De la profondeur.

“Severed crossed fingers” ou quand le slow final se veut romantique, introspectif. Sans grand intérêt, une ballade classique qui clôt facilement un album qui nous a tant surpris. Je reste sur ma faim. Nous devrions en finir, aller au bout de l’exercice voire ouvrir de nouvelles voies, déjà. Et c’est tout l’inverse, trop de simplicité nous colle les pieds au plancher quotidien dans un paysage musical ici normé.

Ce que St Vincent réussit terriblement bien est la perte de repère. Pas de nom, pas de terrain connu. Beaucoup de richesse dans la composition, subtile et bardée d’instruments qui sonnent autrement. Oubliez ce que vous pensiez. 1) les 80s ne sont plus ringardes. 2) un instrument n’a pas de son en soi, c’est le son qui fait l’instrument. 3) les machines ne sont pas réservées aux mecs qui bidouillent dans leur garage. Il y a une fille aussi, qui en sort. A suivre de très près car St Vincent fourmille sans tomber dans la facilité radiophonique. La créativité incarnée.