Carl Barât & the Jackals – Let it Reign

Les trois incontournables : "Glory Day", "Summer in the Trenches", "War of the Roses".

En 2008, Carl Barât et Pete Doherty mettent fin au projet des Libertines. Souvent annoncée puis reculée, la reformation semble poindre son nez dès 2014. Le groupe est d’ailleurs à l’affiche de Rock en Seine cette année. Chacun ayant vécu entre temps de ses side-projects (dont solo), nous retrouvons Carl Barât dans sa formation & The Jackals. Un album ambitieux, nous allons le voir, qui ne lasse ni ne laisse présager de la suite. Si j’ajoute ici que le producteur n’est autre que Joby Ford, guitariste de The Bronx, vous percevrez alors déjà une influence punk…

Ah, l’Angleterre… ! Un air des Clash comme entrée en matière, la rage languissante et la hargne édulcorée. Un certain recul sur les choses. “Glory Day” est une chanson qui sent bon la bière et le pub, aux paroles écrites par Benjamin Biolay. Un navire qui tangue et qui rentre au port. Un titre de la rue, qui s’époumone dans la révolte. Le jeu en slide nous transporte aux frontières d’une machine bien rodée, à la QOTSA. Un titre comme on n’en fait plus.

Et ça continue avec “Victory Gin”, ses roulements de toms, ses accords sautillants. Du bruit. Un Eels qui aurait petit-déjeuné du gin. Les cuivres sont de sortie, l’ensemble est compact. “We are not afraid of anyone” est scandé, comme ultime rempart à la peur ambiante. Puisqu’il suffit de le dire, je les crois.

Nous passons un cap de désinvolture avec l’excellent “Summer in the Trenches”. Toute énergie dehors, un rythme saccadé qui martèle. Des choeurs bon-enfant qui nuancent, et là encore l’ombre punk des Clash ou Sex Pistols. En plus adolescent, peut-être. Quelque chose des Strokes dans la complémentarité des guitares, et bien sûr, l’ombre des Libertines qui envoient tout valser.

“A storm is coming”, nous invite à du plus cozy. La basse groove, monte et descend négligemment en apportant de la rondeur. Les quelques notes qui se détachent ronronnent longtemps. Avec une production tout autre, on s’approcherait d’un bon titre des Red Hot. Posé, cool, chaleureux, le titre invite à une pause smooth.

Et déjà la moitié de l’album qui pointe. “Beginning to see” est une ballade au coin du feu d’un instrument en déchéance, mélancolique-désaccordé. Brut dans l’idée mais un certain effort est fait sur les arrangements. Pete Doherty et son “The Last of the English Roses” n’est pas loin. Ni un bon Miles Kane, pop rock édulcorée et harmonieuse.

“March of the Idle” mise tout sur la mélodie. Un rythme et des accords simplissimes, abordables par tout débutant. La partie mélodique (mini-solo) surprend dès la fin du premier couplet, un gros son pour des notes petites. Puis vient le moment où le stade s’enflamme, reprenant en choeur la “March of the idle”. Une compo efficace, dans la plus pire lignée des Libertines, en mieux produit, plus rond et digéré.

“We want more” lasse déjà. Déjà entendu/vu/ressenti. Du neuf avec de vieilles recettes, le titre commence d’ailleurs assez mal avec cette descente classique. Idem pour le break pré-refrain faussement nuancé, annonçant un “wo, wo” puis un “yeah, yeah”. Enervant. Un bon nouveau générique pour Jeanne & Serge, version 2015.

En revanche, Carl Barât ressort l’artillerie lourde avec “War of the Roses”. Des sonorités Blur, détendues. Une maîtrise millimétrée de l’intensité à la voix, un calage parfait avec la guitare qui nuance subtilement. On se surprend même à percevoir le groove d’Aneurysm (Nirvana) lorsque la basse se fait soliste lors d’un break. Du beau fond travaillé, une forme efficace.

Ultime cri vengeur, “Gears” est résolument punk, aux limites de la Californie. The Offspring évoqué grâce à des choeurs braillés en oh-oh. Sur un surf pour attaquer les vagues. Pourquoi pas?

Et l’album se referme sur une ballade qui évoque une immensité, plus large et rêveuse. Ouverture vers l’avenir au chariot triomphant. Un rien d’Irlande. A écouter le soir d’une victoire nostalgique du XV d’Irlande. Célébrons la St Patrick, le UK. Ôde à la pluie.

Le rock anglais désabusé n’est pas mort. Carl Barât fait fort, débarrassé du carcan parfois pop. Un retour aux sources reggae-punk londonien jusqu’à des influences plus celtes. Un beau travail de composition grâce auquel on ne s’ennuie pas. Chaque titre est peaufiné et – du coup – se suffit. Nous aurions volontairement ôté “We want more” qui semble combler et faire durer. Sans cela, c’est une belle découverte de 2015. Avec une bière.