David Bowie – The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars

Chef d'oeuvre indispensable à découvrir d'urgence si ce n'est pas déjà fait avec "Starman", Five years", "Ziggy Stardust" et "Suffragette city"

Comme les Beatles, Pink Floyd ou les Stones en leur âge d’or, David Bowie a enchaîné un tiercé magistral avec “Hunky Dory”, “Ziggy Stardust” et “Aladdin Sane” entre 1971 et 1973. A l’heure où la Villette lui consacre une excellente expo rétrospective de sa carrière, nous jetons notre dévolu sur cet album immense de Bowie. Grand artiste touche à tout, prodigieux caméléon musical, précurseur parmi les précurseurs, Bowie figure au firmament des plus grands de la constellation pop rock.

Sur ce chef d’œuvre culte, paru en 1972, Bowie campe le personnage fictif de “Ziggy Stardust”, rock star venue d’un autre monde, qui flanqué de ses “Spiders from Mars” – Mick Ronson (guitares, claviers), Trevor bolder (basse, trompette) et Mick Woodmansey (batterie) – débarquent sur Terre pour y faire irradier leur musique à base de textes portant sur une sexualité ambiguë, les drogues, la paix, l’amour et autres sujets sociopolitiques.

“Ziggy”, alter ego de David Bowie, incarne la rock star ultime qui s’autodétruira dans la drogue et la dévotion démesurée que lui porteront ses fans. Personnage inspiré de Vince Taylor, grande figure blues rock américaine des années 50 qui frappé de schizophrénie se croyait l’incarnation croisée d’un demi-dieu et d’un extraterrestre. Vêtu d’étoffes confectionnées par le grand couturier japonais Yamamoto et s’inspirant du personnage sociopathe d’Alex DeLarge dans “Orange Mécanique” de Stanley Kubrick, Bowie et son back band entame une tournée mondiale avant de suicider son personnage définitivement sur scène lors d’un concert en 1973 au Hammersmith à Londres en interprétant la chanson extraite du disque : “Rock’n’roll suicide”.

Ce concept album est marqué par le Glam rock en vogue à ce moment là et dont Bowie fut l’un des instigateurs avec Marc Bolan et son groupe T-Rex, le groupe Mott the Hoople et le chanteur Gary Glitter.

Le diamant se pose sur la platine… C’est parti pour le récital.

“Five years” : une batterie syncopée monte crescendo, quelques accords de piano plaqués froidement, et Bowie qui scande dans le micro avec un timbre de plus en plus alarmé et angoissé sa vision désolée de l’humanité. Les cuivres, les cordes enroulent la chanson d’une marche solennelle. Puis l’angoisse se fait rage et urgence : “That’s all we got, five years !” Crescendo appuyé par une batterie de plus en plus effrénée, la musique disjoncte sur la fin… Les Spiders from Mars sont arrivés sur terre et n’ont que cinq ans pour “sauver” le monde de sa fin programmée. Le compte à rebours est amorcé au son de cette batterie s’évanouissant comme elle est apparue discrètement…

“Soul love” est la définition même du courant Glam rock en vogue à cette époque. On croirait entendre T-Rex (l’album séminal “Electric Warrior”), David Bowie chante à s’y méprendre comme Marc Bolan. Les arrangements mêlent chœurs oniriques, guitares rock saturées, basse rondelette, solo de saxophone, congas et autres percussions. La production est fascinante, elle n’a pas vieilli, cela aurait pu sortir en 2015. On virevolte entre couplets solaires en territoire jazzy et montées d’adrénaline plus rock sur les refrains.

Et quand Ziggy vire à la fois Glam rock et Boogie Bowie woogie, cela donne la chanson “Hang on to yourself”. Toujours dans ce registre rock à paillettes, on trouve cet autre trésor qu’est “Suffragette city” : encore un titre très Glam à la T-Rex avec son leitmotiv crooner/hard blues rock et son piano boogie endiablé à la Jerry Lee Lewis.

Le ton n’hésite pas non plus à se durcir subtilement avec “Moonage daydream”. Deux gros accords trempés dans la distorsion en prélude. Un Ziggy qui s’énerve, une ballade piano/acoustique malmenée par quelques gros accords et riffs de guitare avant l’interlude saxophone/flûte qui détourne la composition vers un sentier que n’aurait pas refoulé un groupe dans la veine d’un Jethro Tull. Le final se fait grand orchestre symphonique. Grandiose. Inventif. Puis descente de solo qui fond doucement dans un tourbillon d’échos, delay, réverbe… Un solo déconstruit qui s’éclipse dans le cosmos et parachève le titre d’un certain brin de folie.

Suit “Starman” qu’on ne présente plus, une chanson pop universelle comme on en fait plus. Une guitare douze cordes aérienne, Bowie qui marmonne et nous voilà embarqué dans sa longue trainée de poussières d’étoiles… Une chanson en forme de rêve éveillé. “There’s a starman waiting in the sky,.., let the children loose it”. Bowie chante avec toute sa superbe, nous accroche le cœur et nous laisse voguer arrimés à notre comète sur ce riff alambiqué de Mick Ronson. Un diamant qui étincelle dans la pupille d’un Petit Prince de St Saint-Exupéry version Glam rock.

Une autre ballade, “It ain’t easy” nous amène sur un territoire space country rock où Bowie singe Neil Young. Ambiance pénitentiaire, le boulet ferré à la cheville dans le genre “O’Brother“. Refrains entêtants aux chœurs virils, guitares slide en apesanteur, Bowie la joue country avec la touche british en sus. Classe.

Avec “Lady Stardust”, le disque emprunte une direction qui rappelle Elton John sur l’album “Honky Château” paru en cette même année 1972, un hasard ? Et quand un John en appelle un autre ? C’est pour pondre un “Star” qui laisse une grosse impression de ballade piano rock typiquement très Lennonienne (lorsqu’il sévissait en carrière solo) avec cette production très… très Spectorienne évidemment.

Autre chanson culte, la fameuse “Ziggy Stardust” avec cette intro qui sonne comme du Axel Rose (Guns N’Roses) quinze ans avant l’heure. “Making love with his ego” chante Bowie. La composition est remarquable, s’articulant autour d’un pivot basse/batterie qui décoiffe, de trois timbres vocaux différents, de deux riffs de guitare figurant aujourd’hui au Panthéon du rock. La force et le talent de Bowie est de cimenter ses refrains en s’épaulant des géniaux gimmicks guitaristiques de Mick Ronson, le sparring partner de Bowie à qui l’album doit une grande partie de sa réussite.

“Rock and roll suicide” referme le coffre. Encore une ballade en or massif. Une entrée en matière acoustique sur un rythme chaloupé avant que Bowie ne s’agite et n’agonise, ne crie au supplice avec cette envolée symphonique lyrique élevant Ziggy et son groupe au firmament des plus belles œuvres à jamais enregistrées dans le rock..