Stevie Wonder – Innervisions

A découvrir en premier : les magistraux "Higher Ground", "Jesus Children of America", "He's Misstra Know It All" et "Living for the city".

1973. Stevie Wonder a tout juste 23 ans et sort son 16ème disque studio (!!!), cela en dit long sur la créativité débordante du bonhomme… Neuf chansons où le jeune Stevie dévoile sa facette de chanteur engagé, cinglant l’inertie politique de l’époque (Richard Nixon en plein “Watergate” qui se fait matraqué dans la chanson “He’s Misstra Know It All”) l’enlisement des troupes américaines au Vietnam, les tensions raciales contre la communauté black,… Mais il n’en oublie pas pour autant d’écrire des ballades qui parlent d’amour et sensualité, de spiritualité et d’universalité : “Golden Lady”, “Visions”, “Jesus Children of America”,…

Un grand disque. Et une chanson monumentale : “Living for the city” laquelle est une dénonciation virulente du racisme et du système de ghettoïsation latente des Noirs aux USA. La chanson relate un fait divers réel, une bavure : un gamin noir flingué par la police de NYC. Sur un groove absolument phénoménal, Stevie Wonder vocalise sa colère à mesure que la chanson progresse. La couleur suave et plastique des claviers est un trompe l’œil. Elle ne fait que mettre parfaitement bien en exergue le chant insurgé de Wonder. Un intermède enregistré à partir de vrais dialogues de rue à new-York met en scène l’injustice dont sont victimes les Noirs américains.

De la rage, Stevie Wonder en a à revendre sur  “He’s Misstra Know It All où l’auditeur se retrouve comme au centre d’une assemblée d’église en pleine transe. Dans un concert de claps de mains et de chœurs gospel, Wonder s’en prend aux politiques (Nixon en tête) et fait rugir son timbre pour mieux appuyer sa vindicte. Jamais ce dernier n’avait été aussi engagé dans sa musique.

Ce chant virulent se retrouve à nouveau sur le fantastique “Higher Ground” : “People keep on dying” se lamente le musicien. Mais ce dernier encourage ses pairs à ne pas fléchir devant l’impassibilité des politiques face aux exactions menées contre la communauté afro-américaine : “Keep on learning, Keep on teaching” scande-t-il sur un gimmick de synthés et claviers une fois de plus remarquable.

Avec “Golden Lady”, nous empoignons les rênes d’une ballade déclinée à l’intention d’une merveilleuse créature. La basse pose un groove dont seul l’artiste a le secret : un groove sensuel et charnel. Avec insistance, Stevie déclame sa flamme à cette “Golden Lady” qui semble totalement accaparer ses songes… Tout le contraire de “All is fair” où il narre son récent divorce. Une jolie ballade piano à l’infinie tristesse où Stevie Wonder épanche ses regrets dans une prestation vocale merveilleusement juste et sincère. Tout comme ce “Visions” aux arrangements de guitares oniriques et qui parle d’échappatoire, de contrées chimériques où l’humanité serait plus noble et juste. Les boucles d’arpèges jazz des guitares nous enveloppent dans une allégorie, une bulle, une bulle qui se fait cosy au son de la contrebasse.

On en oublie pas pur autant de s’agiter, vivre pleinement et danser sur l’excellent “Jesus Children of America”. Slow Funk illuminé par des chœurs féminins sensuels et gospel à la fois. La chanson atteint un paroxysme qui donne envie de se déhancher sur le dancefloor. Là est le vrai groove, et non pas dans cette camelote qu’on essaie de nous refourguer depuis des années sur les antennes de stations comme Fun Radio : tout ce R’n’B commercial et insipide…

Stevie Wonder scelle le son définitif de cet album avec un son très spécifique : celui des claviers synthétiseurs (dont le fameux Moog). Ces derniers sont une innovation récente dans la musique et leur usage sera par exemple majeur dans le développement du courant Prog rock (expérimental). Avec ses nouveau jouets associé à d’autres instruments joués par ses soins (Fender Rhodes, batterie, piano électrique), Stevie Wonder façonne tout le son de l’album et fait entrer le funk et la soul dans une ère de totale modernité à l’image de ce “Too High” qui ouvre l’opus. La production n’a d’ailleurs pas vieilli d’un pouce plus de quarante après… Une prouesse pour beaucoup due à Robert Margouleff et Malcolm Cecil, deux jeunes producteurs blanc-becs de New York, qui encadrent le travail de Stevie Wonder en l’épaulant activement sur ses expérimentations électroniques.

Obnubilé par sa grande rivalité artistique avec l’autre cador de l’époque, Marvin Gaye, Stevie Wonder décide de sortir des sentiers classiques de la soul qui l’ont fait connaître pour prendre un virage mélangeant funk, blues, gospel, pop, sons électroniques et soul. Il y a même du hip hop avant l’heure à l’écoute du morceau latino funk “Don’t you worry about a thing”. Bluffant. Acharné, il décide de faire de ce disque sa grande œuvre. Ambition atteinte et auréolée d’un Grammy Awards un an plus tard. Et nous ? Il nous auréolent d’un MAJESTIC SMILE ON THE FACE à l’écoute de ce disque génial.

Un monument de Soul & Funk.