Chroniquer Noel Gallagher, l’ex-amiral en chef d’Oasis n’est pas chose facile. Son premier album éponyme paru en 2011 avait convaincu ceux qui le pensaient incapable de trouver un second souffle après la dissolution d’Oasis en 2009. Un excellent disque (chroniqué sur le site) sur lequel on retrouvait ce qui faisait la réussite de son ancien groupe ainsi qu’une ouverture vers d’autres territoires musicaux sans pour autant verser dans un rock avant-gardiste. Noel Gallagher est comme le bon vin. Une valeur sûre, qui ne surprend pas mais qui vieillit bien et se bonifie avec le temps. Alors rien ne sert de s’en priver.
Celui que la presse anglaise surnomme “Le Patron” (les américains ont Bruce Springsteen de leur côté) est à 47 ans un véritable parrain dans le milieu du rock anglais. Un homme respecté. Une vraie marque de fabrique. Mais un personnage qui ne mâche pas ses mots et ne verse pas dans le politiquement correct qui hélas a totalement aseptisé le milieu du rock. Le magazine Rock & Folk de février 2015 résume bien la chose dans un débat entre plusieurs journalistes : “Quel avenir pour le rock ? Quid de cette génération 2015 ? Un groupe comme Nirvana peut-il encore voir le jour ? Où sont passées les grandes gueules ?”. Le rock s’est gentrifié. Noel Gallagher fait parti des derniers des Mohicans à l’ouvrir à chaque interview, avec un humour décapant. Ses propos sont foncièrement justes. Notamment lorsqu’il dresse le constat amère et réel d’un courant rock qui en Angleterre ne trouve plus d’écho auprès de la working class.
Alors en 2015, ce deuxième effort solo du Patron, que vaut-il ? Il est globalement un peu moins bon que le premier album. Mais globalement bien plus recherché. L’album embrassant différents styles.
La majeure réussite de ce disque ? Lorsque Noel Gallagher délaisse son pré-carré habituel britrock pour s’aventurer dans des contrées musicales inédites. Ses nouvelles incursions versent dans un classic rock lorgnant vers le space jazz. “The right stuff” en est l’emblème. Une chanson qui évoque une sorte de combo Radiohead/Massive Attack sous perfusion western rock. Co-interprété au chant avec Joy Rose (qui a officié auprès d’artistes tels que Herbie Hancock), on nage en pleine odyssée pyschédélique : élucubrations jazz (saxophone), rythme trip hop, contretemps, solos de guitare jazzy… Un trip acid jazz qui n’est pas sans rappeler celui que pratiquait un certain Paul Weller avec The Style Council.
Cette empreinte jazz rock qui sied parfaitement à Noel Gallagher et ses High Flying birds (groupe à géométrie variable tant en live qu’en studio) est également présente sur le magnifique “The song remains the same”. Une sorte de valse syncopée jouée en ternaire. Clarinette et saxo emballent l’affaire autour d’une mélodie touchante, inspirée, mélancolique, subtile. Un registre dans lequel Noel Gallagher n’avait jamais officié jusqu’ici. Burt Baccarach qu’il affectionne tout particulièrement transpire dans l’élan et la grâce des arrangements de la chanson. La patte de The Stranglers résonne également au loin…
La touche jazz rock se vérifie à nouveau sur le très beau “Riverman” qui ouvre le disque. Comment ne pas succomber aux charmes de ce solo de guitare qui semble faire croiser le fer entre un Santana digne du meilleur cru seventies et David Gilmour (Pink Floyd) ? Surtout lorsque virevolte en fin de chanson un solo de saxophone fortement inspiré par “Shine on you crazy diamond” du même Pink Floyd ? Classe.
Avec ces trois titres, le mancunien montre sa capacité à sortir des sentiers battus. Le résultat est admirable. On aurait aimé qu’il creuse davantage ce sillon. Sans doute un peu feignant et convenu, Noel Gallagher cède à la facilité lorsqu’il déroule deux chansons qui auraient pu figurer dans le répertoire des faces B d’Oasis avec “Lock all the doors” et “You know we can’t go back”. Si la première souffre d’un total manque de subtilité de par ses grosses guitares et son refrain FM à la Springsteen chantant pour les Foo Fighters, la seconde ravive la flamme des refrains gorgés d’optimisme. Le trick fonctionne quoique un brin téléphoné. Mais on se laisse prendre au jeu car après tout entonner une chanson qui donne envie de chanter à tue tête, cela fait du bien. Surtout quand cela évoque non sans nostalgie les refrains homériques d’Oasis dans ses grandes années de domination planétaire.
Peu de faux pas sur ce disque. Outre “Lock all the doors”, il y a “The Mexican”. Un blues rock dans la lignée de “Bitch” des Rolling Stones avec le cachet et le karma de “Exile on Main Street” en moins. N’est pas Keith Richards ou Mick Taylor qui veut. Un peu surproduite, la chanson construite sur un riff bluesy manque un peu de spontanéité dans le jeu.
En revanche quand Noel Gallagher accouche de ballades dont il a le secret pour les rendre mélancoliques, il est difficile de ne pas lui reconnaître ce talent sur des titres tels que “The Dying of the Light” et “The girl with X-Ray Eyes” laquelle va piocher dans David Bowie pour les digressions cosmic rock à la Ziggy Stardust.
Enfin sur “In the heat of the moment” et “Ballad of the mighty I”, on surfe sur un beat disco. Deux chansons où la basse est dotée d’un groove imparable, où la batterie claque sèchement pour conférer une ambiance dansante. Là encore les refrains rentrent dans la tête. La production est néanmoins trop propre, trop rock FM. Johnny Marr, émérite guitariste de The Smiths, s’invite sur “Ballad of the might I”. Il y livre des cascades de solis et arpèges cristallins et liquides. Une ballade atmosphérique qui glisse sur une autoroute mi-psyché mi-pop. Echo & the Bunnymen survole les débats. Le disque se clot sur cette dernière plaisante embardée.
Avec ce deuxième effort solo, Noel Gallagher laisse entrevoir des choses intéressantes et prometteuses pour la suite. On lui souhaite d’être poussé dans ses retranchements (vu l’animal ce n’est pas chose gagnée d’avance) par un producteur de l’acabit de Nigel Godrich (Radiohead) ou Josh Homme (Arctic Monkeys) afin de pondre un album qui soit à la mesure de son talent de faiseur de mélodies tout en explorant des directions nouvelles à l’image d’une chanson comme “The right stuff”. Si son premier disque solo avait fortement séduit par la qualité des bijoux pop folk rock qu’il avait concocté, “Chasing Yesterday” est moins évident à s’approprier et moins enjoué que son prédécesseur. Néanmoins il témoigne d’une plus grande créativité sur une bonne moitié des chansons. Last but not least, on ne pourra qu’applaudir le retour des solos de guitare sur l’album. les solos de “The right stuff”, “The song remains the same”, “The Mexican” et “Riverman” sont d’une grande classe. Et ça fait du bien car c’est un art qui s’est évaporé depuis longtemps, trop longtemps…