Reprenons les bases, à l’image de la pochette scolaire du disque. Qu’est-ce qu’une face B ? Les générations Y et au-delà se souviendront-elles de ce que signifiait ce format à l’heure où le tout digital désosse peu à peu la musique pour n’en laisser qu’un fragile squelette ?
La face B est un exercice à part entière. Un art même. Un art qui habillait les singles diffusés en radio et TV. Fut une époque (bénite) jusqu’au début des années 2000 où l’on éditait des singles sous format 3 à 4 titres (dit “maxi”) au lieu de 2 titres. Le fan en avait pour son argent. Il suffisait que le groupe publie 3 ou 4 singles extraits de son album pour que le fan se voit gratifié de 6 à 12 chansons bonus. Un régal pour l’époque !
Les faces B peuvent-être des trésors cachés ou de simples chansons d’ameublement. Certaines d’entre elles surpassent même la qualité des chansons présentes sur un disque. Généralement fans et collectionneurs se les arrachent. Mais c’était une autre époque, celle d’avant Spotify, Torrent et Napster si l’on remonte à la genèse d’internet.
Un bon compositeur se remarquait souvent par la qualité des faces B qu’il produisait. Un art subtil car à l’époque la qualité d’un single se distinguait aussi par celle de ses faces B en garniture. Et parfois la garniture est meilleure que le plat principal… Noel Gallagher est en la matière l’un des plus remarquables artisans de la face B. Si les 14 chansons qui composent “The Masterplan” (compilation des meilleures faces B d’Oasis sur la série de singles extraits des 3 premiers albums du groupe entre 1994 et 1997) avaient été soigneusement conservées pour alimenter un album studio à part entière à la place de “Be here now”, le 3ème opus des Lads anglais, autant dire que le carton planétaire était assuré. Car cette compilation est un joyau à elle seule.
On y trouve tout d’abord “Acquiesce”, une ode à la fraternité rock and roll, chantée (et le fait est rare) par les deux frères qui se partagent chacun couplets et refrains. Le petit frère scalpe le texte de sa hargne et de sa puissance pendant que l’aîné jette toute son âme dans la bataille. Le sang irlandais qui coule dans les veines de ces deux frères irrigue cette chanson érigée comme un blitzkrieg rock and roll sur un wall of sound de guitares massif.
Il y a la majestueuse “The Masterplan” qui aux dires de Noel Gallagher est “ce qu’il a composé de mieux dans sa carrière”. On est pas loin de lui donner raison. Une guitare folk égrène quelques accords en suspension, puis des violons plaintifs voguent sur une mer émeraude houleuse; la pluie fouette le visage, tout semble être désolation mais Noel Gallagher porte l’estocade définitive à cette mélancolie à coup de grands refrains bravaches portés par cette touche “irish soul” dans l’intention. Un registre pop baroque que l’on retrouve sur “Going nowhere” sous emprise Burt Bacharach, chanson old school aux airs jazzy et swing.
“Underneath the sky” ? Une pépite concoctée dans un velours de guitares inondées d’effets chorus afin de conférer un zeste mélancolique de “northern soul” à cette ballade chantée par un Liam Gallagher au mieux de sa forme. Un rayon de soleil perce le brouillard épais qui étreint des millions d’âmes à l’image du poignant “Rockin’ chair” qui place le groupe dans un registre sensible et fragile, aux antipodes de ses frasques et scandales. Une perle acoustique aux accents à la fois hispanisants et “merseyside” (le terroir musical Liverpuldien – la touche mélancolique de The La’s). De mélancolie, de regrets, de tristesse, il en est beaucoup question dans le répertoire d’Oasis. Comment ne pas succomber au charme simpliste mais désarmant de la ballade acoustique “Half the world away” qui creuse à nouveau le sillon Burt Bacharach et y fait couler du Neil Young et Paul Weller. Une chanson lovée dans un mellotron moelleux et rythmée par une caisse claire guillerette. Une parure simple au service de la mélodie avant toute chose. La signature typique d’Oasis en version édulcorée. “Talk tonight” ne déroge pas à cette règle. Clappement de mains, folk en bandoulière, intimité totale; le chant implore, sans maniérisme.
Lorsqu’Oasis renverse la table avec fracas, c’est à coup de bastonnades punk façon Buzzcocks (“Fade away”). Le pied sur l’accélérateur, le groupe n’a jamais et ne sonnera plus jamais aussi urgent, sauvage et rock and roll. Les guitares moulinent à coup de riffs binaires et décapants, le solo de “Headshrinker” explose comme une grenade à la figure et Liam scande chaque mot comme si sa vie en dépendait. Même état d’esprit sur la reprise dantesque de “I am the walrus” des Beatles. Dans un déluge apocalyptique de réverbe et d’écho, Oasis livre une version “noise rock” détonante dans la droite lignée des Jesus & The Mary Chain ou autres Ride et My Bloody Valentine. Les guitares piquent comme des drones en perdition dans un magma de larsens et foultitude de sons psychédéliques… “The Swamp song” et son beat obsédant à la “On the road again” de Canned Heat s’inscrit dans cette mouvance noisy avec un instrumental blues foutraque sur lequel s’invite Paul Weller (harmonica et lead guitare). Même ambiance noisy avec la touche pop en sus sur les excellentes “It’s good to be free” (cet incroyable final d’accordéon potache !) et “Listen up”.
Une excellente compilation qui brasse plusieurs genres, met en lumière une poignée de titres à compter parmi les meilleurs de la la discographie du groupe et montre à quel point Noel Gallagher était prolifique en matière de compositions à cette époque. Peu de groupes peuvent se vanter d’avoir signé autant de faces B de cette trempe.