Ray LaMontagne – Ouroboros

Pas de titre à sortir du lot. Une pièce sculptée d'un seul tenant.

Le cinquième album de Ray LaMontagne est gravé dans le cosmos. Un voyage planant de bout en bout convoquant les illustres Pink Floyd époque “Dark Side of the Moon” dont les allusions, les références, les intonations émaillent cet “Ouroboros” scindé en deux parties, dans la pure tradition des vinyles 33 tours avec face A et face B.

Nota : L’ouroboros est un dessin ou un objet représentant un serpent ou un dragon qui se mord la queue et donc plus spécifiquement la symbolique de l’éternel recommencement.

Une basse agissant comme un pulsation cardiaque ouvre cet opus avec Homecoming. Un arpège aspiré par l’immensité. Et une guitare acoustique chevauche la voie lactée. La voix douce et chaleureuse de Ray LaMontagne surfe dans l’espace. Ambiance cinématographique. Entre “Gravity” et “2001 l’Odyssée de l’Espace”. Une musique en totale apesanteur. Nous flottons dans un halo diaphane. Des claviers vintage tel que le RMI (datant des années 70) nappent l’ensemble de sons spatiaux. Cet Homecoming signe une très belle entrée matière. Évanescente et hypnotisant à la fois.

Hey, No Pressure est du pur jus Ray LaMontagne. Un blues/soul rock langoureux et sensuel. Mais cette fois-ci teinté de sons psychédéliques et aériens. Un groove sculpté sur un gros son crunchy bien baveux. Sonnant rétro et moderne à la fois. La production signée Jim James (leader du groupe My Morning Jacket qui officie également sur de nombreux instruments) est impeccable. Le final est magistral. La chanson dévisse et s’embarque dans un dédale sinueux où les claviers (Juno et Multivox) sont martyrisés pour en ériger des sons stridents et chaotiques. Impression d’être dans la capsule d’une fusée qui décroche de son orbite et fonce tout droit vers le sol pour s’y fracasser à grande vitesse. Tous les instruments sont en alerte. La chute est vertigineuse et incontrôlable.

Ambiance Prog rock à la King Crimson sur le ténébreux et angoissant The Changing Man. A l’unisson tous les instruments s’avancent dans la nuit noire tels les fantassins d’une armée mortifère. On pense aussi à “The Wall” de Pink Floyd. Une mécanique grandiloquente. Un final Wagnérien qui se poursuit d’un seul tenant sur While It Still Beats chanté furieusement par Ray LaMontagne. Une colère sourde enlace chacun de ses mots. Une interprétation pétrie de gravité. On suffoque perdus dans une douloureuse et pétrifiante immensité. C’est le trou noir. Avant d’être lâché en bout de course dans une sorte de totale béatitude. On se voit l’espace de deux minutes dans le personnage du cosmonaute de “2001 L’Odyssée de l’Espace” qui, coupé du monde, se laisse aspirer par l’univers.

La seconde partie du voyage débute ici. Sur cette ballade planante où tout est porcelaine. Aurore boréale. Crachin de plumes. Ciel de coton. In My Own Way est-elle un doux et apaisant songe ? Réel et Irréel se font face. Le chant est patte de velours. Nous nous laissons bercer agréablement… Et Another Day nous enfonce dans ce rêve calfeutré. Une ballade intimiste et ésotérique qui ne déroge pas à une certaine solennité dans l’intention. Et qui nous rappelle au bon souvenir du regretté Nick Drake. Sommes-nous passés de l’autre côté ? Voguons-nous sur le Styx ? Empruntons nous des chemins Élyséens ? Ray La Montagne est-il un passeur ? A Murmuration of Starlings vient de commencer… Exquise guitare qui s’adonne à des exercices de style jazz rock. Le Pink Floyd période “Wish You Were Here” est totalement prégnant dans ce titre totalement enivrant.

Nous atteignons la dernière étape avec Wouldn’t It Make a Lovely Photograph qui clôt cette deuxième partie du voyage. Un dernier titre à l’image de ce second volet louvoyant entre ésotérisme, psyché et plénitude. Une parfaite osmose entre voix solaire, intimiste et instruments chaleureux, lumineux.

“Ouroboros” est un album magnifique. Un vrai trip. Le petit frère de “Dark Side of the Moon” et/ou “Wish You Were Here”. Assez conceptuel. Un disque qui s’écoute d’un seul tenant pour en saisir toute sa beauté. Un disque qui aurait pu verser dans le prog rock/folk pompeux et pompier. Mais il n’en est rien. Ray LaMontagne, épaulé par Jim James, soigne le grain et la matière de chacun de ces 8 titres avec un son chaud et rendant grâce à l’infini avec ces effets de réverbération convoitant les grands espaces stellaires.

Un petit coup de maître qui rappelle celui de Beck avec son disque psyché folk “Morning Phase” en 2015.