Derrière The Verve, groupe phare de la scène britpop des 90’s, il y a tout d’abord une voix habitée et immense, l’une des plus belles offertes au rock depuis son avènement : celle de Richard Ashcroft. “Mad Richard” comme le surnomment les anglais. Lorsque le timbre medium de sa voix baryton exhale son souffle dans un micro, c’est à vous foutre la chair de poule. Autant avec The Verve qu’en carrière solo, cette signature vocale est un joyau.
Aux côtés du roi fou, nous avons Nick McCabe, guitariste génial et introverti, du genre qui ne fait pas dans l’esbroufe et du genre musicien totalement sous-estimé alors qu’il est à classer dans la même division que Johnny Greenwood (Radiohead) ou Graham Coxon (Blur). Ces guitaristes peu bavards mais absolument stupéfiants de classe lorsqu’il s’agit d’orner les compositions de leurs phrasés musicaux. Une science de l’arrangement, une science des sons concoctés dans leurs “laboratoires” et une science de l’inventivité. Nick McCabe n’est pas aussi iconoclaste que ses deux pairs cités plus haut mais la majesté des chansons de The Verve tient pour beaucoup à la qualité de ses enluminures psychédéliques.
En 2008, The Verve publie ce 4ème disque inespéré. Séparés en 1999 après le phénoménal succès de leur dernier disque, le magistral “Urban Hymns” (1997), Ashcroft, McCabe, Simon Jones (basse) et Pete Salisbury (batterie) se retrouvent le temps d’un album, d’une tournée avant de splitter à nouveau en 2009. Seul Simon Tong, excellent guitariste (ayant officié avec Gorillaz et The Good, The Bad & The Queen, les side-projects de Damon Albarn de Blur) n’est pas convié aux festivités.
Avec “Forth”, The Verve ne choisit aucunement la facilité laquelle leur tendait les bras après les singles dévastateurs en radio de “Urban Hymns”. Au contraire, le quatuor se propulse dans un monde irréel. Tout l’album est un délirium sonique. A l’image de la somptueuse pochette qui habille le disque, The Verve évolue dans un état second, entre onirisme et béatitude. Un disque qui n’est pas particulièrement accessible. Et long qui plus est : 70 minutes pour 10 titres ! Certains appelleraient ça un suicide commercial, qui plus est pour un come back ! Mais The Verve se fout des conventions. Le groupe a toujours défendu sa position, sa mentalité, sa culture d’artiste indépendant.
Le voyage amorce sa phase de décollage avec Sit and Wonder. Un Richard Ashcroft messianique implore avec une rage contenue, une envie d’en découdre. Lévitation dans ce hall aéroportuaire psychédélique. La basse turbine sur un groove élastique. Fermez les paupières. Les parois de l’esprit se délitent au son de cette odyssée céleste. La lumière jaillit. Tout est lustré et flamboyant.
Une autoroute electro pop se dessine dans le firmament. Love is Noise sprinte sur un beat discoïde entêtant. Une voix filtrée au vocodeur en guise de gimmick incessant. “Mad Richard” se fait prophète sur son étoile filante. Il invoque d’un ton péremptoire et solennel. Refrain de stade pour le seul titre ultra pop et léché. Mais dont la mélodie colle sévèrement à la tête.
Rather be est une ballade éthérée qui ne transcende pas. Un piano en guise de ressac, une wah-wah tortillon. “Oh mama mama why am still crying” se lamente Ashcroft. Monotone et fastidieux. On enchaîne sur les guirlandes de guitares en apesanteur qui ornent Judas. Echos oniriques. Chant apaisé. Valium. Fumerolles. La tête planant au dessus de Katmandou. Des bandes inversées dansent dans l’antichambre de la raison. Accélération sensorielle amplifiée par un jeu de basse transcendantal. Méditation dans le registre de Spiritualized…
Une intro western rock imbibée de LSD et sous influence Neil Young ouvre l’excellent Numbness. Ashcroft est cramé. Son chant écorché vif et neurasthénique déraille. L’appareil amorce une phase de dépression. Une indie pop lysergique qui avait germé au début des années 90. L’Angleterre rock d’alors carburait aux acides, LSD et amphets. Celle de Primal Scream, Happy Mondays, Charlatans & co.
I see Houses renoue avec une pop plus consensuelle, davantage dans le registre de ce que le chanteur nous avait habitué sur ses trois album solos. Un sympathique titre de pop baroque, sans prétention, avant de voir notre caravelle s’enfoncer dans l’abîme…
Noise Epic porte bien son nom. Liquéfaction des neurones déclenchée par un groove hypnotique. Garage rock psychédélique poissard. Montée de speed. Un riff maléfique aux effluves de 13th Floor Elevator et autres Black Angels. Accélération cardiaque. Décélération. C’est parti pour la grande roue et le joyeux bordel instrumental. Combustion orgasmique. Trip. Temps suspendu. Vertiges. Mise en abîme. Le cerveau dévisse. Chicane sonique. The Verve ne contrôle plus rien. De nouveau l’appareil dévisse et pique vers le sol. Batterie devenue folle, les réacteurs des guitares partent en torche. Cris. “Wake up !” assène Ashcroft. Fin du cauchemar. Illusion. Pétage de plombs total. Ty Segall aurait apprécié l’exercice !
Valium skies offre un répit…Oasis sous Marie-Jeanne. Cotonneux. La tête se renverse et s’écroule sur une lagune… Lâcher prise sur un refrain et un final qui fonctionnent à merveille.Columbo démarre sur une ambiance qui rappelle Blur période “Think Tank”. La basse sonne comme une contrebasse feutrée et hindouisante. Les guitares carillonnent. Le chant semble écrasé par une chaleur accablante… Atmosphère suffocante appuyée par une basse/batterie convulsive. Soudain la chanson change de tempo et se love dans un lac d’échos et de réverbes. La basse reprend le dessus. Funk psychédélique made in Stone Roses, ressuscitant ce fameux “baggy sound” des 90’s.
Appalachian Springs clôt le disque. Quelques boursouflures viennent ternir le milieu de la composition la rendant quelque peu indigeste en fin de disque. L’affaire prend parfois quelques tournures grandiloquentes. L’outro évanescente des guitares en forme de grelots conclut ce disque d’une plus belle manière.
Un vrai disque de psyché rock version pop. Brillant de mille éclats. Un magma de couleurs ocres et argentées. Tout est à la fois sépulcral et irisé. On plane. Le timbre aérien et incantatoire de Richard Ashcroft conjugué aux guitares expérimentales de McCabe agissent comme un psychotrope. Une démonstration de force et de talent pour un groupe qui n’avait rien publié en 11 ans et qui n’a jamais cédé aux sirènes du commercial. A l’instar de Echo and The Bunnymen, une référence majeure dans le son sculpté par le groupe depuis son irruption au début des années 90.
Rare et donc remarquable même si ce disque aventureux peine sans doute un peu sur la longueur dans ce monde si pressé.