Nirvana – In Utero

Les deux titres à écouter d'urgence: "Milk It" et "Serve the Servants". Pas pour les mêmes raisons.

Grosse basse. Nous sommes dans une boîte. Où peut-être cela devrait-il nous rappeler le son assourdi quand nous étions encore plus que tout petit? La perception sonore à la frontière du vivant. La voix de Kurt semble volontairement voilée, mixée au sein du reste pour mieux l’entourer. Et soudain un solo plus complexe que d’habitude sort. Aurait-il pris des cours de guitare? Mystère. Mais ce “Serve the Servants” n’a pas pris une ride. D’une efficacité testée et approuvée depuis… 20 ans. La tête bat. Le coeur la suit. Le corps humain en transe.

“Scentless Apprentice” effraie un peu. Ce hurlement soutenu par une guitare qui s’effiloche, le remplissage de cymbales, la basse qui ronfle. Mastodonte. Le voilà qui s’égosille bientot. Ovni d’énergie à gorge déclamée. Nirvana nous rappelle alors nonchalamment ce que grunge veut dire. Powerchords, 4 accords, une voix je-m’en-foutiste sincère, une batterie qui défonce et quelques paroles qu’on sème. Et basta. L’ampli chauffe, le pied tape, la tête headbang et les cheveux poussent. Reflet d’une génération toute entière qui écoutait alors Fun Radio, pour laquelle The Offspring n’était pas un groupe pour les surfers californiens (Smash), un album tout noir ne l’était en fait pas (cf le serpent sur la pochette du Black Album de Metallica) et qui n’avait alors que cela à faire. Se poser des questions. Écouter du son Rock sur son walkman Aïwa à cassettes était synonyme de cool, légèrement à la marge des groupes de filles et de mecs en bandes. Une certaine façon de plus prêter l’oreille à ce qui peut composer une partition pour faire un tout, malgré le vacarme apparent. Ne pas se fier aux apparences…

Et justement, sous les décibels se cachent une composition, une ligne choisie, un son paufiné, une volonté, un enregistrement studio, une alchimie un peu magique qui emporte tout. Cette alchimie ne peut être trouvée qu’à force d’un travail minimal, minutieux, d’une concentration autour d’un projet d’album. Et c’est respectable. Eh oui, Kurt et sa clique ont travaillé. Et le plus génial est que cela n’est pas vraiment perceptible. Naturel. Couché sur papier. Tel une oeuvre automatique qui doit sortir et qui – donc – sort.

Attardez-vous sur “Dumb” et son arrangement de violon qui pose un terrain mélancolique. Aux antipodes de “Very Ape” qui court derrière et nous propulse dans l’action après une hésitation rythmique devenue sa signature introductive. L’emblématique “Milk It” et sa rage dévastatrice. Une intro brisée d’une gamme sino-orientale, la joie de tout balancer tous ensemble, le phrasé imparable. “Pennyroyal Tea” et son accordage qui frise semblant simuler un chorus, son refrain dense et compact, sa basse qui vrombit et nous joue des tours (1’07). Tout laisse à penser que le titre est improvisé, mais il progresse avec une construction millimétrée. Et qui n’a jamais rêvé de faire une pause post-réunion agaçante en écoutant “Tourette’s”? Un retour à l’état d’adolescent qui envoie tout bouler, mais en plus déstressant (l’ado ne connaissant pas le stress). Violon violent, la boucle semble bouclée. Un riff sur deux cordes pour toute excuse. “All Apologies” cloture avec classe et rondeur.

Pas mal, pour un groupe qui fait du bruit. Après le raz-de-marée Nevermind, le groupe cherchait à se retrouver. Faire du bruit mais sobrement, un retour aux sources du bruit. Si nous avions alors l’impression de ne pas être compris, j’ai à coeur de dire aujourd’hui qu’au contraire nous avions déjà compris beaucoup. Que le bruit peut faire planer, que le bruit reste des notes mêlées, que le bruit est nuancé, que le bruit peut parler. Alors certes, il faut parler plus fort, plus haut, plus longtemps. Mais parler, c’est exister. 20 ans après. Cheers.