Blur – The Magic Whip

Les très bons titres à découvrir sans tarder : la magnifique "There are too many of us",..., "Thought I was a spaceman" et "Lonesome Street".

Ce nouvel album de Blur est un évènement majeur pour la musique. Comme lorsque David Bowie fit reparler de lui après un silence qui parut une éternité… Evènement majeur pour un groupe majeur et inventif.

Décidément ce début d’année 2015 aura été marqué par de fortes réminiscences Britpop, 20 ans après, avec la publication du 2ème album solo de Noel Gallagher (ex-Oasis) et le 8ème album de Blur que l’on attendait (plus) depuis 2003… 13 ans ont passé depuis “Think Tank” enregistré sans Graham Coxon, le guitariste introverti et génial de Blur qui avait largué son vieux groupe de potes en chemin pour se concentrer sur sa carrière solo et pour mésentente avec Damon Albarn…

Certes Blur avait enterré les rancoeurs en se réunissant le temps de quelques lives mémorables en 2009 et 2012 pour la clôture des JO de Londres, certes Blur avait expiré trois nouvelles chansons entre temps (dont la très jolie et mélancolique “Under the Westway”), mais rien ne laissait présager que le quartet se fendrait d’un nouvel album malgré les rumeurs et les déclarations plus ou moins limpides des membres du groupe.

Et pourtant “The Magic Whip” est bien là. Enregistré pour partie en 5 jours confinés à Hong Kong, les sessions furent réassemblées sous le contrôle de Graham Coxon et leur fidèle producteur Stephen Street. Quelques parties, notamment le chant, furent réenregistrées afin de conférer à l’ensemble une parfaite qualité et cohérence artistique.

Rocknrank a écouté attentivement cette nouvelle galette. Verdict à l’heure où tous les rock critics ont encensé l’album ?

Cela démarre avec une pop festive digne des premières années Britpop du groupe. Ce “Lonesome Street” sonne comme en 1994 époque “Parklife”. Guitares sautillantes, basse excitée, sons de clavier bidouillés faisant virevolter la chanson dans les airs, choeurs pop à souhait. Un coup d’oeil amusant et malicieux dans le rétroviseur Britpop d’une longue carrière de plus de 20 ans qui depuis avait emprunté des territoires soniques plus alternatifs et expérimentaux.

“New World Towers” coupe court aux débats qui pointent le bout de leur nez gros comme une maison à base de – un retour aux sources période “Parlife” ou “Leisure” ? – non. Ici la ballade appuyée par un piano bastringue en sourdine rappelle davantage les digressions musicales psychédéliques de The Good, The Bad and The Queen, l’un des autres projets rock de Damon Albarn en 2007. Albarn a outre Blur participé à tant de projets musicaux divers et variés que cela se traduit forcément dans “The Magic Whip”, sorte de digestion créative de tout ce qu’Albarn et Graham Coxon ont assimilé depuis 2003. “New World Towers” est une ballade lascive, sombre, évoquant solitude et torpeur dans un grand ensemble fait de macadam et de rouille. Les boucles acoustiques de guitare sont teintées d’une lumière onirique et pâle. Un mellotron siffle pendant que Damon Albarn insufle sa mélancolie à l’ensemble.

“Go out” et sa structure déglinguée, avec ses constructions et déconstructions, ses dissonances et ses stridences, est un parfait exemple de chanson qui alterne motifs pop et déraillements instrumentaux… Un carambolage sonique à la Sonic Youth. Pénible à la première écoute, celle-ci se laisse peu à peu apprivoiser malgré son côté répétitif. Une ambiance robotique, industrielle et paranoïaque habite ce titre qui lorgne davantage du côté d’une pop rock désabusée, en total sabordage. Pas inoubliable cependant…

On poursuit avec “Ice Cream Man” et ses élucibrations folk electro. Une texture faite de guitares au son liquide entourant une basse/batterie rebondissante. Les amateurs de “Think Tank” et “13”, les deux dernières livraisons de Blur, apprécieront l’exercice. On reste néanmoins un peu sur sa faim, plus une bonne face B qu’autre chose. “Thought I was a spaceman” exploite ce même filon prog pop rock. Un beat electro claustrophobe, une boîte à rythme synthétique, des nappes de sons mystérieuses et planantes, un xylophone enfantin et des guitares orientalisantes. Puis la basse se met à groover, la batterie naturelle fait surface et claque sèchement pour un décollage vers la face cachée de la lune. Splendide.

“I Broadcast” : retour à un tempo plus énervé. Du Blur Britpop époque “Parklife” / “The Great Escape” avec un spectre musical plus étendu et expérimental. Accent cockney en bandoulière, Albarn pose son flow façon petite frappe hooligan. En moins de 3 minutes, les quatre agités emballent l’affaire avec un certain mordant.

“My Terracota Heart” est le cousin de “Ice Cream Man”. Une ballade où les guitares de Coxon se lient et se délient dans une nasse de jolis arpèges glissant dans un écrin moelleux. Le chant est magnifiquement tragique. Dans le fond les percussions assènent un beat mécanique immuable et vertical sur lequel la basse d’Alex James dialogue avec les descentes de gammes guitaristiques ensorcellantes. Une chanson caramel en forme de coucher de soleil. Parfait élixir pour un moment d’initimité.

Avec “There are too many of us”, le meilleur titre du disque (et l’un des meilleurs de leur carrière), Blur entame une oraison funèbre. Lyriques, les violons progressent au rythme d’une batterie militaire. Le chant métallique de Damon Albarn est empreint de gravité. Description d’un monde surpeuplé dans un Hong Kong saturé. Loin d’être un hymne malthusien rock, ce titre majestueux (sous influence David Bowie) est un regard, un constat aussi désolé que celui porté sur notre humanité par Gorillaz dans “Plastic Beach”. Petit chef d’oeuvre qui étreint le coeur.

https://www.youtube.com/watch?v=3MyMdwCeOQI

On ne s’éternisera pas sur le dispensable reggae pop rock “Ghost ship”... Pourquoi la plupart des groupes se sentent toujours obligés depuis les Stones et les Clash à se payer le mauvais luxe d’un titre rock aux infusions jamaïcaines… Laissons cela aux puristes du genre. Quand le rock se prête à cet exercice raté 9 fois sur 10, ca sonne toujours très beauf musicalement parlant.

La très influencée David Bowie “Pyongyang” renoue avec la gravité de “There are too many of us”. Blur pompe allègrement “Love is lost” de Bowie (sur son dernier album “The Last Day”) sur l’instrumental mortifère et hindouisant qui orne les couplets. Une procession éthérée où Blur déroule son univers sur une basse élastique et rebondissante pendant que les guitares se font sinusoïdales et carillonantes. Lorsque Damon Albarn attaque le refrain, ce dernier se fait suave et céleste. Une chanson en forme de divination prog pop.

Avec sa joyeuse vibe candide et bubble gum, “Ong Ong” sent bon l’été, les franches accolades amicales, les verres de rhum qui tintent. Chanson facile mais au service d’une pop ludique et épicurienne.

“Mirrorball” vient clore le disque sur une teinte fiévreuse et léthargique. Soleil de plomb, torpeur indochinoise, arrangements qui rappellent autant le “Out of time” de Blur que le “West ryder pauper” de Kasabian. Invitation à la méditation sous opiacées. Les guitares lustrées aux tremolos ouvrent la voie à une ballade à bord d’une jonque. Bienvenu à bord d’une embarcation onirique qui s’enfonce et s’égare dans la lumière tamisée de l’aube.

Bilan ? Un bon album. Une oeuvre qui se rapproche de “Think Tank” et “13”, les deux derniers chapitres de Blur. Mais pas de quoi se pâmer non plus. Cette nouvelle livraison depuis 2003 démontre que le groupe en a sous le pied en terme de créativité. Mais on reprochera à ce disque une certaine facilité et flemmardise dans la composition. Peu de refrains qui valent vraiment le détour à quelques exceptions près. Un disque introspectif, apaisé, assez sombre outre quelques guillerettes embardées pop rock. Mais on s’emmerde un peu. L’ambiance feutrée et psychédélique de “The Magic Whip” est certes bien amenée mais l’album montre quelques faiblesses évidentes liées à un travail de post-composition en studio. On sent bien en effet que Stephen Street, le producteur, épaulé par Graham Coxon ont trié et assemblé des bandes pour reconstituer un tout. Et c’est ce qui ternit l’ensemble qui reste globalement d’assez bonne facture.

Espérons que ce “Magic Whip” ne soit qu’un prélude à un nouvel album plus abouti du quatuor à l’avenir.