Pink Floyd – The Dark Side of the Moon

A écouter dans l'ordre, dans le noir, dans les oreilles.

Une tâche ardue. Bien parler d’un album qui fait tant parler de lui. Plusieurs générations. Et parfois les mots ne remplacent pas une écoute attentive. Mais il faut savoir l’apprécier. Au lever, à douze mille mètres ou lors d’une course à pied. Cent fois remettre le métier sur l’ouvrage. Recommencer. Transmettre. Chérir ce trésor. 44 ans. Et pour longtemps.

Silence. Cœur humain. Cash machine. Décollage céleste. Cri d’effroi. Bulle de savon en pesanteur. Oxygène en boîte. Dépressurisation de la cabine. Une certaine classe dans la basse rassurante. L’air de ne pas y toucher. Slide faisant écho aux dauphins impérieux. “Speak to me / Breathe” ouvre la voie. Une route bordée de signes lumineux. Le phaser ondule, la voix lactée accueille. Les voix compressent. L’accompagnement flotte. L’orgue dévisse. La cymbale est d’une clarté limpide. Attention, joyau.

“On the Run”. Sans transition. Machine à remonter le temps. L’aiguille s’envole. Il n’est pas l’heure. Course mystique effrénée. Molécules d’atomes. Hachage électronique de bon présage. Qui annonce des décennies de musique électro. Un titre sans structure, le temps suspend son vol. Profitons du tournoiement sonore. Rire sadique. Le tems se joue de nous. Explosion.

“Time”. Le magicien d’Oz remet les pendules à l’heure. L’annonce de la suite et ses introductions grandiloquentes. Les percussions teasent, la guitare se fait spaghetti, la reverb tout droit sortie du far-west. La basse annoncera le groove d’un titre fracassant. La voix est parfaitement énergique. Sur du velours de chœurs afro. Synchrones avec ce clavier en grosses nappes. La guitare s’offre un décollage au pays de l’overdrive plannant. Introduction initiatique aux musiques actuelles psychédéliques. Ni queue ni tête. Un bordel parfaitement organisé. Ricochets groovy.

“The Great Gig in the Sky”. Piano feutré. Slide lancinant. Paroles de comédien. Conteur du système solaire. Suivi d’un hymne à la voix féminine. La scène s’accompagne d’orgue vibrant. La tension palpable d’une prise de son au lâcher prise évident. La batterie brode et ponctue, en ajoutant un chaos de fûts. Retour au calme. Les cendres fument encore. Le paysage est dévasté mais l’on y vit heureux. De cette découverte d’opéra rock interstellaire.

“Money”. De longs trajets en voiture vacancière. En boucle. L’hymne d’une génération qui avait déjà musicalement tout compris. La recette du jour. Un riff de basse, un trémolo tournoyant, un clavier hésitant. Une batterie au cordeau. Une implication vocale de premier plan. Un cuivre embêté de déprimer. Une reverb flottante. Une wha insaisissable. Tout cela entrant joyeusement en résonance. Un travail de chef d’orchestre. L’entrée des artistes parfaitement cadencée. Graal.

“Us and Them”. Recueillement. Des arpèges doux et acidulés. L’entrée d’un cuivre sensuel et chaleureux. Un jeu de séduction féminin. Une parole infinie. Comme un appel qui s’effrite. L’union mystique des forces résonne. Un clavier qui claque. Des cuivres qui font le coup du moustique. Un calme olympien revient.

“Any Colour you Like”. Cocotte funk. Gamme de musique classique. Une basse s’adonne à son jeu favori. Découdre l’évidence rythmique pour surprendre. Épaulée ici d’une batterie timide mais sereine. Un jeu à la Hendrix autour des 1’35. Quelques notes graves puis les aigus claquent. La beauté du génie.

“Brain Damage”. Quelque accords égrenés. Une structure classique. Le titre le plus pop de l’album pour une réparation mentale. “I see you on the dark side of the moon”. 3’15 enveloppe d’une nappe 8bits. Plus rien de sera comme avant. Désormais.

“Eclipse”. Épilogue. Le soleil et la lune se rencontrent dans une lutte intense. Une tension déchirante. Le halo de lumière perce l’obscurité. Puis. Le noir total.

De la même façon qu’au CP nos enfants apprennent à lire, il est conseillé d’apprendre tôt à écouter les œuvres d’art. Décomposer, parsemer, rassembler. Changer de plan. Et un nouvel axe s’ouvre. Cubisme musical multipliant les possibilités. D’une lumière pure ressortent des courants inspirés pour des années. Le spectre du génie et l’arc-en-ciel de la créativité.