The Last Shadow Puppets – Everything you’ve come to expect

Full aux as par les rois : "Used to be my girl", "The Bourne identity", "Aviation", "Miracle aligner" et "Bad habits".

Cela faisait huit ans que l’on attendait ce moment… Et à l’échelle de la musique c’est une putain d’éternité !

En 2008, Miles Kane & Alex Turner (leader des Arctic Monkeys) frappaient un coup magistral en abattant une paire d’as sur la table de black “Union” jack. Un disque rare. Élevé dans la grâce d’un Scott Walker flirtant avec le cinéma western d’Ennio Morricone et celui reluisant du duo Ferrante & Teicher. Ce premier opus du duo The Last Shadow Puppets impressionnait par la maturité musicale et lyrique des deux plus belles petites frappes produites par l’Angleterre depuis Liam Gallagher (Oasis) et Mike Skinner (The Streets).

Huit ans plus tard et un palmarès rock déjà bien garni pour les deux frères d’armes, ce nouveau disque ne déçoit pas. “Everything you’ve come to expect” est un trompe l’œil. Une première écoute déçoit. Une dixième écoute révèle et conquiert. Kane & Turner ont construit un disque aux orchestrations aussi magnifiques que sur leur premier album. Une prouesse signée Owen Pallett, un canadien issu du monde de la musique classique. Les deux teigneux livrent une pop toujours aussi baroque. Mais cette Pop majuscule vieillit cette fois de dix ans pour s’encanailler dans les seventies. Certains arrangements rappellent l’œuvre de François de Roubaix à l’image de la sucrerie pop Pattern. Oui, encore un compositeur de musique pour film. Les deux anglais en raffolent. Et leur pop cinématographique assimile ces influences à merveille. Preuve en est ce nouveau chapitre.

La pellicule s’enclenche sur Aviation. Une introduction astucieuse qui nous transporte droit dans le giron esthétique du premier disque. Comme si cette parenthèse de huit ans n’avait jamais existé. Des violons qui déraillent. Suspens. Une caisse claire qui claque. C’est parti. La basse assène un groove tout en tachycardie. Le grain de Miles Kane, classe et habité, glisse sur une guitare tricotant un riff déconcertant de facilité mais si à propos. Les cordes mêlées au cor de chasse font de cet Aviation un titre baroque pop effectivement céleste et qui n’est pas sans évoquer les arrangements pop jazz de Burt Bacharach.

Douze chansons conçues dans un écrin pop satiné. Seul bleu musical frappé au visage : ce Bad Habits démoniaque. Une saillie psyché baroque totalement féline. Un vieil ampli Fender à lampes qui goutte, tapis au fond d’une cave moite et humide… Un coup de griffe. Miles Kane se fait fauve. Incandescent. Sulfureux. Malsain. Outrageux. L’ovni. Le grain de folie du disque. Entre bande son de série Z et tour de passe passe “hitchcockien”. Une danse maléfique. Tout le contraire de The element of surprise, une merveille pop comme on en fait plus… Beat quasi-disco, basse guillerette, charley et caisse claire se jouant des contre-temps, guitare moulinant gimmicks funky, orchestrations de cordes en contre-plongée pendant qu’Alex Turner phrase et chuinte ses textes langoureusement…

La virée solo d’Alex Turner période “Submarine” (2010), EP croqué par Rocknrank, a laissé des traces indélébiles. Tant dans les ballades romantiques des Arctic Monkeys que sur ce nouvel opus des Last Shadow Puppets. Une soft pop en forme de rêverie. Des bulles égarées dans la grisaille à l’image du voluptueux Miracle aligner où le leader des Arctic Monkeys emballe la composition de sa voix vaporeuse et charnelle. Un timbre de crooner juvénile aux accents mêlés de Richard Hawley et Ronnie Lane (Small Faces). L’orchestration “50’s” basse/guitares huilées dans des nappes de réverbe clinquante confère à l’ensemble une merveilleuse touche vintage et surannée. A l’image de cette superbe pochette ocre qui figure Tina Turner.

Sirocco. Chaleur pesante et onirique que Dracula Teeth vient plaquer de toute son envergure. Vibrato abrasif des guitares, sortilège de la voix ensorcelante, violons frappés de vertige… The Dream synopsis s’inscrit dans ce même registre. Une belle et poignante ballade piano suintant bon la mélancolie et la pluie. On y parle de la grisâtre et industrielle Sheffield. Un trou à rats que l’on cherche à fuir mais qui vous colle à la peau pour l’éternité… Une carte postale autobiographique d’Alex Turner.

Le timbre d’Alex Turner n’a jamais sonné aussi crooner que sur Sweet Dreams, TN. Un crooner totalement méprisant et désinvolte dans sa façon de cracher ses mots… Sur un tempo martial, Turner déverse sa bile, tel un anti-héros désabusé et pitoyable. Le chant d’un cygne noir abandonné des siens depuis si longtemps… L’ombre de Richard Hawley résonne dans chaque incantation phrasée du “Conducatore” des Arctic Monkeys. Richard Hawley natif de Sheffield comme Alex Turner. Il y a quelque chose de propre à cette ville qui les habite, comme ceux qui viennent de Liverpool ou Manchester. Mais une morgue en plus dans cette manière d’interpréter, d’habiter, d’incarner les chansons. A l’image d’Iggy Pop lorsque lui même se fait crooner. Et David Bowie aussi n’est pas totalement loin… Sur le premier essai paru en 2008, Alex Turner s’employait aussi à crooner façon Scott Walker. La marque des grands ?

De vertiges mélancolico-nauséeux il en sera question sur cet Everything you’ve come to expect porté par un clavecin aux inclinations de valse fanfare désuète comme sur “Theme from retro” de Blur avec la touche Beatles saupoudrée sur les refrains passées à la moulinette phaser pour “psychédéliser” un propos ennuyeux. Seul titre dispensable du disque.

Quand psychédélisme vire à la sorcellerie pop rock, cela donne l’incroyable Used to be my girl. La claque de l’album. Un morceau aux élucubrations subversives. Riff de guitare orientalisé absolument parfait. Miles Kane distille un venin à la fois sexy et perfide. Magie noire. Final érigé comme une morsure de cobra. Brûlures de guitares fuzz. Black Lips dans le réservoir. Stupéfaction. Miles Kane marcherait-il aussi dans les traces de Queen of the Stone Age? Avec une touche quasi-chamanique en plus. Ce n’est pas la chanson She does the woods qui arguera du contraire. Du Doors contemporain revisité à la sauce Queen of the Stone Age. Chant incantatoire. Avec toujours cette implacable morgue. Un final martial et oppressant traversé de rares éclaircies, de rares légèretés… Pour mieux rouleau-compresser sur un final totalement abrupt.

La version deluxe de l’album contient un titre bonus fantastique : The Bourne identity (titre bonus du disque chanté par Miles Kane). Planant. Un rêve en kaleidoscope où flottent les vibes des Beatles et Style Council. Une pop aérienne qui fout le bourdon. Qui noue la gorge. Tout simplement beau. Cafard…

La deuxième mouture des Last Shadow Puppets fut enregistrée aux Shangri La Studios de Rick Rubin (Malibu, Californie) qui virent passer un certain Jake Bugg enregistrer son deuxième album en 2013.

Un disque beaucoup plus posé que le premier. Moins de fulgurances. Une intelligence artistique foudroyante. Pur génie. Sans complexe. Définitivement un chef d’œuvre, qui se révèle et se magnifie à chaque écoute. Que cela fait du bien de voir cette “Résistance artistique” toujours aussi active face au sinistre raz de marée esthétique qui squatte les ondes et les charts. Réjouissons-nous, ils sont encore jeunes, ils viennent juste d’avoir 30 ans… Un infini merci pour cette Pop millésimée et intemporelle.